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appartient au père Huc, auteur d’un Voyage en Chine, publié en 1853. L’honorable missionnaire racontait qu’on passant par une ville, dénommée Han-tchouan, il avait assisté à une manifestation politique en faveur d’un général qui venait d’être destitué, au grand regret des habitans. Le général était à cheval, entouré d’une foule sympathique. Arrivé à la porte de la ville, il s’arrêta ; deux vieillards lui retirèrent respectueusement ses bottes et lui mirent une paire de chaussures neuves. Les bottes furent ensuite suspendues sous la voûte de la porte et le cortège reprit sa marche. Et le père Huc ajoutait que, dans presque toutes les villes de Chine, on aperçoit aux voûtes des principales portes d’entrée de riches assortimens de vieilles bottes toutes poudreuses pendues en guise d’ornements commémoratifs. — L’histoire, en son temps, parut drôle et ne fut pas sans rencontrer quelques sceptiques. Eh bien ! elle est exacte. A Tien-tsin, en 1873, M. Deveria vit des collections de bottes suspendues sous la voûte de la porte orientale. « Lorsqu’un magistrat, dit-il, est nommé ailleurs, les notables de ses amis vont en corps attendre le passage de son palanquin à la porte de la ville ; ils se jettent aux pieds du magistrat, le supplient de rester ; celui-ci invoque les ordres d’en haut. On est censé alors avoir recours à la force pour le retenir, et c’est en se débattant, saisi par les jambes, qu’il sort de ses bottes pour ne pas tarder davantage à se rendre aux ordres de l’empereur. Cette relique est mise dans une cage de bois… » — Après cela, nous pouvons sortir de la Chine avec nos bottes de sept lieues que personne ne songe à nous enlever et reprendre notre Tour du monde.

Comment nous éloigner de la Chine sans faire une courte station au Tonkin ? Par les récits de Francis Damier, de M. Romanet du Cailland et du docteur Harmand, le Tour du monde nous fait connaître l’Anam, le Cambodge, le Laos et le Tonkin avant la lettre, le Tonkin de la période héroïque, alors que Francis Garnier et ses vaillans compagnons, une poignée d’hommes, prenaient les villes d’assaut et mettaient les armées en déroute. L’expédition de Francis Garnier au Tonkin, en 1873, rappelle les conquêtes de Cortez et de Pizarre dans le Nouveau-Monde. La citadelle d’Hanoï fut prise, le 20 novembre 1873, par une troupe de moins de 200 hommes contre une garnison de plusieurs milliers d’Annamites. En moins d’un mois, les principales forteresses du Delta tombèrent de même en notre pouvoir à la suite de hardis coups de main dirigés par MM. Balny d’Avricourt, de Trentinian, Hautefeuille et par le docteur Harmand. Ces noms ne doivent pas être oubliés dans l’histoire de notre conquête. Le 21 décembre, en repoussant un retour offensif de l’année annamite, soutenue par les Pavillons-Noirs, que