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l’on voit apparaître pour la première fois, Garnier et Balny d’Avricourt furent tués, et avec eux se termina la campagne du Tonkin, renouvelée en 1883 après la mort du commandant Rivière. On sait le reste, c’est-à-dire la guerre avec l’Annam, la guerre avec la Chine, les traités, le protectorat, nos victoires et nos échecs, les incidens parlementaires, les accidens ministériels et « l’empire colonial. » L’épopée de Francis Garnier a engagé la France dans une grande entreprise, plus séduisante que méditée. Quelques ressources que présente, assure-t-on, le Tonkin, avec son sol fertile et sa nombreuse population, il ne faut pas perdre de vue que l’empire chinois est limitrophe, que l’Annam n’est point complètement soumis, que la guerre y a formé des soldats, que les rebelles et les pirates sont toujours en armes : voilà pour la sécurité, qui exige l’entretien permanent d’un corps d’armée décimé par le climat. Doit-on compter que notre industrie et notre commerce profiteront de l’ouverture de ce nouveau marché, qu’il y aura un jour affluence de colons français cherchant et trouvant la fortune dans la direction des cultures, dans l’exploitation, des mines, dans les relations plus directes établies avec l’ouest de la Chine par la navigation du fleuve Rouge ? Les débuts jusqu’ici ne semblent pas heureux ; les bénéfices industriels et commerciaux sont bien minimes, les mines chôment, le fleuve Rouge se montre peu navigable, et, pour comble, parmi les institutions et les fonctionnaires que l’administration française s’est empressée d’introduire au Tonkin, figurent en première ligne un tarif de douanes et des douaniers. Enfin, admettons que cette erreur évidente sera corrigée, que la paix régnera au Tonkin et dans l’Annam, que les Pavillons-Noirs, c’est-à-dire les Chinois, nous laisseront tranquilles et que l’œuvre de la colonisation suivra régulièrement son cours, — ce sont là bien des concessions, — est-il permis d’espérer que la domination ou l’influence française s’étendra facilement et utilement vers les régions comprises entre l’Annam, le Cambodge et le royaume de Siam et pourra conquérir le vaste empire colonial que des imaginations très vives et trop promptes ont rêvé du créer, au profit de la France, dans l’Extrême-Orient, en concurrence avec l’Angleterre, propriétaire de l’Inde, et avec la Russie, maîtresse de la Sibérie ?

Ouvrez le Tour du monde, et vous y verrez en quoi consistent ces parages convoités avec une ambition très patriotique. A deux reprises, le docteur Harmand, qui est un Tonkinois pur-sang, de la première heure, qui a été l’un des conquérans du Tonkin et qui tient pour l’empire colonial, a visité la région du Laos qui, s’étend de la frontière de l’Annam à la rive gauche du fleuve Mékong. M. Mouhot, puis M. le commandant de Lagrée, dans une