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récoltes en huit mois, avec ce même rendement pour chacune d’elles. » Ajoutez à ces produits le sésame, le poivre, la muscade, puis les richesses minérales, les minerais de fer, le cinabre, l’argent, la houille, etc. Il y a pourtant de graves et fréquentes lacunes dans ce pays merveilleux, nos voyageurs doivent avouer que plus d’une fois les vivres ont fait défaut et que, pour nourrir l’escorte, il a fallu se mettre sérieusement en chasse, courir après les antilopes, les autruches et les girafes que l’on n’atteint pas facilement et abattre des zèbres. L’eldorado est donc intermittent. Les bêtes féroces y abondent : lions, tigres, éléphans, rhinocéros, hippopotames, crocodiles, serpens, etc. L’explorateur africain doit être constamment en éveil et avoir toujours l’arme en main. Mais aussi quels beaux coups de fusil pour les amateurs ! Serpa-Pinto fut un jour dans le cas de faire coup double sur deux lions qui le contemplaient d’une manière inquiétante. Cameron nous raconte une histoire de lions, qui est moins tragique. Il existerait, dans l’Oukarannga, près du lac Tanganvka, un village dont les habitans vivent dans les meilleurs termes avec les lions. « Les animaux se promènent parmi les cases sans jamais faire de mal à personne. Les jours de fêtes, on les régale de miel, de chèvre, de mouton, et, quelquefois, dans ces après-midi tambourinantes, dansantes et mangeantes, on voit jusqu’à deux cents lions rassemblés. Chacun d’eux a un nom connu des habitans et répond quand on l’appelle. Enfin lorsqu’un de ces lions vient à mourir, les villageois pleurent sa perte et se lamentent comme pour un des membres de leur famille. » Cameron ne garantit pas le fait ; il le tient de témoins véridiques, ou tout au moins convaincus, et il ne nous conseille pas d’y croire. Ces lions villageois ont tout l’air d’un conte arabe, mais ils font bien dans le paysage.

Au point de vue de l’œuvre entreprise en Afrique depuis quelques années, particulièrement dans les régions du Niger, du Congo et du Zambèze, que doit-on conclure des observations déjà nombreuses et assez précises qui ont été recueillies par les voyageurs du Tour du monde ? .. L’esclavage dépeuple incessamment la partie la plus fertile de l’Afrique. Il convient d’attaquer tout d’abord ce dernier foyer de la traite et nous devons rendre hommage aux efforts qui sont tentés, sans nous faire illusion sur les obstacles de toute sorte qui retarderont le succès. Tant que subsistera l’esclavage, il est impossible de compter sur un progrès sérieux. Il n’y a pas de routes ; ces beaux fleuves ont des rapides, des cataractes qui rendent leur navigation difficile, impossible même sur certains points de leur cours : ces grandes forêts sont impénétrables ; le sol même est irrégulier, sablonneux et mouvant, à ce point que les colons de