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dans cette chasse à courre amoureuse par son secrétaire ou par son cosaque. Il résolut donc de se déclarer à la belle sans plus tarder. Sachant, par expérience, que les petits cadeaux n’ont pas moins d’influence en amour qu’en amitié, il se fit conduire à la ville voisine, d’où il revint avec des coraux, un foulard en soie bigarrée, et une paire de boucles d’oreilles en argent. Au moment où il rentra armé de ces moyens de séduction, un heureux hasard voulut que Mme Michalowska fut sortie en visite dans un château du voisinage. Il se glissa, comme un voleur, dans la chambre retirée où Matrina, assise sur un divan très bas, était en train de jouer avec le petit enfant, et il commença sa cour en lui offrant le foulard qui se mit à chatoyer de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. La friponne comprit tout de suite de quoi il s’agissait, et ne répondit qu’en montrant ses dents blanches, d’un air rusé. Le mandatar lui adressa force complimens sur sa bonne mine, sur sa chevelure admirable, et les boucles d’oreilles apparurent. Matrina rougit de joie, et ne fit aucun mouvement quand son maître voulut les lui attacher de sa propre main. De plus en plus épris, le séducteur montra les coraux rutilans. Matrina paraissait vaincue. Elle obéit, sans hésitation, ouvrant elle-même sa pelisse, et se laissa passer au cou le riche collier.

— Oh ! que tu es belle ! murmura Michalowski, en faisant tous les signes de la plus vive admiration. Comme Eve, tu as été créée pour séduire un homme, et en être follement aimée. Cet homme, belle Matrina, c’est moi !

Complètement subjugué, et ne pouvant plus résister, il enlaça de son bras la jeune Eve rusée, qui n’essaya que faiblement de se dégager. Il la serrait, maintenant, plus fort contre sa poitrine, et couvrait sa nuque d’ardens baisers. Elle pensa ne pas trop lui manquer de respect en le repoussant, d’un très léger coup de coude. Mais, le mandatar multipliant ses caresses, et menaçant de pousser un peu loin ses audaces, elle se décida à crier au secours.

Au même instant, Mme Zénobia apparut à l’entrée de la chambre. Le diable, ayant peut-être à se venger du trop heureux mandatar, s’en était mêlé ; Mme Michalowska avait manqué sa visite, et était rentrée beaucoup plus tôt qu’elle n’aurait dû. Comprenant aussitôt la situation, elle se précipita sur son mari avec la fureur d’une tigresse. Mais celui-ci n’avait pas un instant perdu son sang-froid.

— Ne dis pas non ! cria-t-il sur le ton d’un juge sévère, à la pauvre fille effrayée : conviens que tu as pris l’argent, que c’est toi qui es la voleuse !