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il l’introduisit à la cour pontificale et le présenta au pape, qui était alors Paul V.

Le court séjour que Richelieu fit à Rome exerça sur le reste de sa carrière une très réelle influence. Il vit, à l’âge où les impressions sont vives et durables, cette ville qui était à la fois la capitale du monde catholique et le centre du monde civilisé. Son œil perçant put distinguer le fort et le faible de cette cour, de ces congrégations, de ces cercles qui passaient pour les retraites de la politique la plus haute et la plus raffinée. Il vit de près ce que, de loin, on appelle les grandes choses.

Il s’insinua dans la faveur de plusieurs cardinaux, les Borghèse, les Givry, les Joyeuse. La tenue de la cour romaine, où les longues ambitions se couvrent si longtemps du manteau de l’humilité et du désintéressement, le frappa. C’est à partir de cette époque qu’il commença à contenir ce que sa nature avait de naturellement impétueux et qu’il soumit toute son attitude extérieure à la discipline de ses ambitions.

Il étudia les langues qu’on parlait à Rome, l’italien et l’espagnol. Cette dernière surtout était préférée par tout le monde galant. Il s’y consacra jusqu’à dédaigner l’usage du français. Il rechercha aussi les occasions de se faire remarquer dans les discussions littéraires et théologiques. Il y brillait par l’étendue de sa science, la sûreté de sa mémoire, la vivacité de son esprit, la modestie de son maintien. Le pape Paul V, dont l’abord était plutôt sévère, s’intéressa au jeune prélat. Il eut avec lui de longues et graves conversations. Il alla jusqu’à lui confier les inquiétudes que la conduite de Henri IV inspirait au saint-siège.

« Ce prince, à peine arraché aux erreurs de l’hérésie, disait le pape, s’abandonne à toutes les tentations des sens et se livre à tous les plaisirs. Ne pouvons-nous pas craindre justement qu’une pareille conduite ne l’éloigné de la voie droite et ne le rejette vers ses anciennes erreurs ? » Richelieu, après avoir laissé passer le flot des plaintes du saint-père, reprenait doucement la défense de son roi, et il le faisait en termes si heureux et si éloquens que Paul V terminait l’entretien par cette plaisanterie pontificale : « Henricus Magnus armandus Armando (Henri le Grand armé par Armand). »

Une autre fois, un des prédicateurs de la cour ayant prononcé un long sermon devant un nombreux auditoire, Richelieu le récita d’un bout à l’autre, à la sortie de l’église. Le fait fut rapporté au pape qui, quelques jours après, demanda encore à Richelieu de répéter le sermon. Il réussit et, pour mettre le comble à l’admiration que ce trait avait excité, le lendemain, il fit un autre sermon de son cru, sur le même sujet, et cela, dit son historien, « avec une telle abondance d’idées et de citations, avec une telle splendeur