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préalablement leur avis et les membres du conseil eux-mêmes, que, conformément à leurs conclusions, le roi signa un édit pleinement approbatif. A la vérité, il n’avait pas fallu moins de trois ans pour que la maîtrise arrivât à remporter cette victoire sur les efforts que lui opposaient les représentans de tous les intérêts lésés ou menacés, depuis les artistes proprement dits jusqu’aux marchands d’objets où la peinture et la sculpture n’entraient qu’à titre d’éléments accessoires ; mais enfin le roi s’était prononcé. Pour achever d’avoir gain de cause, il ne restait plus aux maîtres qu’à obtenir l’entérinement de la décision royale : c’est ce à quoi ils travaillèrent avec un redoublement d’ardeur. Seulement, les difficultés furent plus grandes cette fois et les délais bien autrement longs qu’ils ne l’avaient été pour la première partie de l’affaire, puisque le Parlement hésita pendant dix-sept ans avant de rendre l’arrêt (1639) par lequel il ratifiait définitivement les mesures délibérées en conseil.

Ne semblait-il pas dès lors que la maîtrise n’eût plus rien à ambitionner et que, désormais en possession d’une autorité absolue sur tous ceux qui, de près ou de loin, se rattachaient au monde des arts, elle ne dut songer qu’à exploiter les énormes privilèges qu’on venait de lui concéder ? Elle n’en jugea pas ainsi cependant. Enivrée jusqu’à l’affolement par un succès qui, pour avoir été longtemps attendu, n’en était pas moins décisif, elle ne tarda pas à reprendre l’offensive en présentant une seconde requête par laquelle elle prétendait réduire à quatre ou à six au plus le nombre, illimité jusque-là, des peintres du roi et de la reine ; supprimer complètement les titres et les offices de peintres des princes ; enfin faire défense aux brevetaires, sous peine de confiscation et d’amende, de travailler pour les particuliers, pour les églises même, « lorsqu’ils ne seraient pas employés aux ouvrages pour le service de Leurs Majestés. »

Pour le coup, c’en était trop. Les privilégiés et les artistes indépendans, qui auparavant n’avaient guère marché d’intelligence dans leurs tentatives de résistance aux envahissemens de la maîtrise, s’unirent cette fois, soulevés par une indignation unanime contre la tyrannie de leurs oppresseurs. D’un commun accord, ils prirent pour chef celui d’entre eux qui, par la haute situation à laquelle il était parvenu déjà, par son titre de peintre de la reine-régente et par son crédit auprès du chancelier Séguier, enfin et surtout par la trempe de son esprit aussi entreprenant que délié, pouvait le mieux diriger le mouvement et le faire aboutir : ce chef était Charles Le Brun.

Ainsi investi de la confiance de ses confrères, Le Brun se mit à