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fort étrangers aux mœurs républicaines, ne semblaient nullement destiner à figurer en pareille compagnie[1], les artistes choisis par David pour composer le nouveau conservatoire n’ont-ils guère pour la plupart d’autre titre que leur intraitable civisme. Les noms par exemple, justement oubliés aujourd’hui, des peintres Bonvoisin et Picault, du sculpteur Dupasquier, de l’antiquaire Varon, ne sauraient être remis en lumière que comme des témoignages de l’esprit de parti qui prévalait alors.

Veut-on une autre preuve, et plus significative encore ? On la trouvera dans les considérations présentées et dans les désignations de personnes faites par ce même David pour la formation, en regard de la commission du muséum, d’une seconde commission, dite Jury national des arts, ayant pour office de juger les concours à la suite desquels des récompenses nationales pourraient être décernées. Le concours pour les prix de Rome était un de ceux-là. En dépit de son origine monarchique, il avait été maintenu, saur pour ceux qui auraient à en apprécier les résultats, à ne rien continuer sur ce point des principes ou des coutumes de l’ancienne Académie royale et, comme les y invitait un jour leur président, Dufourny, à tenir moins de compte dans l’examen d’un ouvrage « de la perfection pratique de l’art que de la manière de rendre un sujet en homme libre, en véritable républicain. » David apparemment partageait cet ans, ou plutôt il proclamait plus résolument encore l’insuffisance, en matière de jugement, de l’expérience personnelle et des connaissances spéciales : puisqu’en présentant à la convention son projet d’institution d’un jury et la liste des membres qui devaient le composer, il commentait le tout en ces termes :

« Votre comité a pensé qu’à cette époque où les arts doivent se régénérer comme les mœurs, abandonner aux artistes seuls le jugement des productions du génie, ce serait les laisser dans l’ornière de la routine, où ils se sont traînés devant le despotisme qu’ils encensaient. C’est aux âmes fortes qui ont le sentiment du vrai, du grand, à donner une impulsion nouvelle aux arts en les ramenant aux principes du vrai beau. Ainsi l’homme doué d’un sens exquis sans culture, le philosophe, le poète, le savant, dans les différentes parties qui constituent l’art de juger l’artiste, élève de la nature, sont les juges les plus capables de représenter le

  1. Les rapports d’amitié qui existaient de longue date entre David et Fragonard expliqueraient seule la faveur accordée en cette occasion par le peintre des Horaces au peintre de la Fontaine d’amour, du Sacrifice de la Rose, des Heureux hasards de l’escarpolette et de tant d’autres scènes du même genre. Une lettre de David, écrite en 1806 et publiée par MM. de Goncourt (l’Art au XVIIIe siècle, t. II), prouve, d’ailleurs, la persévérance de cette affection de David pour Fragonard et pour la famille de celui-ci.