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qu’il allait périr, et qu’on l’a tranquillisé en lui disant qu’il aurait la vie sauve s’il ne cherchait pas à s’évader, l’infortuné a accepté sa nouvelle situation avec une placidité tout à fait orientale. Il a de plus une certitude qui le satisfait, celle qu’on ne le laissera pas mourir de faim, car il est largement pensionné par ses geôliers, comme le sont ou l’ont été les souverains de Lahore, de Delhi, du Zoulouland et bien d’autres. Rois en exil aussi, dont le plus grand crime a été de posséder des mines d’or, de l’ivoire en abondance, des forêts de bois incorruptible, et de vivre à une époque où les peuples d’Occident, trop à l’étroit dans leurs anciennes limites, ont résolu d’enlever aux peuples d’Orient les terres que ceux-ci ne fertilisent pas, les richesses de toute sorte que leur apathie laisse sans emploi.

Cela s’appelle diffusion des lumières, marche de la civilisation dans le monde. Il faut, en effet, ces belles définitions, afin d’endormir les scrupules qui s’éveillent dans la conscience des apôtres modernes quand ils voient se mêler à leur propagande d’odieux intérêts et l’application de cette maxime barbare : la force prime le droit. Et cependant, ainsi que le disait ces jours-ci M. Rousse, comment mieux définir le travail de « ces hommes de notre siècle reculant pas à pas les frontières qui les séparent, et, d’un bout à l’autre de la terre, mêlant ensemble les habitans de la petite planète où la main du Créateur les a jetés ? » N’est-ce pas du progrès que l’œuvre de l’affranchissement des opprimés, la propagation des découvertes scientifiques qui endorment la douleur, et l’instruction morale d’âmes étrangères jusqu’ici à tout idéal ?

Par une de ces coïncidences dont il serait puéril de démontrer l’opportunité voulue, c’est au moment même où la France était priée par des ambassadeurs birmans de signer un traité de commerce et de paix avec leur pays que l’Angleterre fut soudainement prise d’un de ces accès de philanthropie dont je parlais à l’instant, et d’une subito tendresse pour les sujets de Thibô, roi de Birmanie. Elle accusait leur souverain de cruauté ; pour les soumettre à un régime plus doux, elle en fit tout simplement, par décret, des sujets de son empire de l’Inde. Il serait également oiseux de démontrer comment, avec plus d’habileté et de discrétion, nous occuperions dans ce riche pays des Birmans la place qu’y occupe l’Angleterre. Aussi bien on paraît s’éloigner de plus en plus, chez nous, des idées d’extension coloniale caressées, après 1871, par Gambetta, idées dont il est fait un si grand crime à ceux de ses amis qui ont cherché à les mettre en pratique. On