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règne, on en agissait ainsi dans son pays. En captivité et au contact d’Européens, il a dû finir par comprendre qu’une telle coutume était d’autant plus barbare que les souverains birmans ont toujours eu quatre femmes légitimes, et, de plus, des favorites à discrétion.

Aussitôt après les massacres, ou créa une loterie d’état afin d’assurer au trésor royal un revenu certain ; le gouvernement fit construire d’élégantes maisons de jeux et, pour mieux y attirer la foule, on les pourvut de musiciens et de danseuses. Le peuple ne tarda pas à abandonner la culture des terres pour passer son temps dans les maisons de plaisir. S’il y jouait, et perdait, ce qui ne manquait jamais, il vendait son champ, ses femmes et ses enfans, jusqu’au jour où, ayant tout perdu, il devenait un dacoït de la pire espèce, c’est-à-dire un voleur de grand chemin.

C’est au moment où les sujets du roi Thibô glissaient sur une pente de démoralisation à peu près générale, que le vice-roi de l’Inde mit en mouvement de l’infanterie, de l’artillerie, des vivres, des munitions qui furent concentrés à Thayet-Maya, ville de la frontière birmane. On voulait être prêt pour la chute d’un corps qui se décomposait. Il ne fallait plus qu’un prétexte pour marcher en avant et en terminer avec un territoire depuis longtemps ardemment convoité. Ce prétexte, les Anglais l’attendirent l’arme au pied, bien sûrs qu’il se produirait à l’heure qui conviendrait le mieux à leurs intérêts.

Ils eurent d’abord l’idée de chercher chicane à la Birmanie, à propos d’une question de douane. En vérité, il était impossible de mettre la main sur l’un des plus anciens trônes du monde pour un motif semblable, et cette idée fut éloignée. La mort horrible des princes aurait bien pu servir d’excuse à une intervention bientôt suivie d’une déchéance, mais le roi était innocent du sang versé : on ne pouvait lui faire expier un crime qu’il n’avait pas commis.

Une ambassade envoyée à Paris, en 1883, par Thibô et ses ministres, dissipa les derniers scrupules. La Birmanie ayant à combattre les Shans qui s’étaient révoltés, inquiète de la présence des troupes anglaises sur toutes ses frontières, sollicita de nous une alliance. Notre présence au Tonkin en rendait la pratique facile et utile. « Les souverains de vastes régions, écrivirent les Birmans au président de la république française, doivent songer sans cesse à la prospérité de leurs sujets… Pendant longtemps, les rapports entre les deux nations ont été rares et difficiles ; aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Il y a déjà dans notre royaume des officiers et des négocians français dont les travaux acquièrent journellement de