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chambre divisée, compromise par ses dissensions stériles, épuise ce qui lui reste de force et de vie ? Ce n’est plus qu’une succession de scènes violentes, tapageuses, parfois grossières, dont le dernier mot est l’impuissance. La chambre finit comme elle a vécu, en perdant son temps sans pouvoir arriver à clore sa carrière par quelque œuvre sérieuse et utile. Cette discussion même du budget qui se traîne péniblement, entrecoupée d’interpellations et de tumultes, elle n’a plus réellement d’intérêt, ou si l’on veut, elle n’a qu’un intérêt aussi inquiétant qu’inattendu : elle est la constatation croissante, incessante de toutes les irrégularités qui se sont introduites dans le budget, de l’abus des ressources publiques de dépenses souvent peu justifiées, comme aussi de négligences redoutables pour la sûreté du pays. Certes la France, depuis ses désastres, n’a jamais marchandé les sacrifices qui lui ont été demandés pour assurer sa puissance militaire ; elle a tout donné sans compter, hommes et argent. Eh bien, une des séances les plus douloureuses de ces dernières semaines est celle où, tout compte fait, après les explications de M. le ministre de la marine comme après les révélations qui se sont produites, il a été à peu près avéré que les forces navales n’étaient pas ce qu’elles devraient être. L’armement de mer serait insuffisant ! — Ce sont là des divulgations dangereuses, dit-on ; le fait lui-même, tel qu’il apparaît à travers les savantes obscurités du budget, est bien plus dangereux encore. Il est certain que depuis dix ans on aurait mieux fait de s’occuper un peu moins des laïcisations à outrance, des guerres aux sœurs de charité, et un peu plus de nos intérêts nationaux, de ce qui fait la force de la France. La chambre qui s’en va aurait mieux employé son temps ; elle ne laisserait pas après elle cette situation où, en présence d’une politique jugée par ses œuvres, le pays a plus que jamais le droit de voir clair dans ses affaires, de savoir ce qu’ont à lui offrir les partis qui vont se disputer sa confiance.

Le malheur est que la question n’est pas aussi simple qu’elle le paraît ; que tous ces partis, prêts à entrer en lutte devant le pays, ne disent pas leur dernier mot, qu’ils ont leurs réserves, leurs artifices et leurs équivoques jusque dans leurs déclarations les plus retentissantes. Assurément, parmi les républicains qui ont eu le pouvoir depuis dix ans et qui veulent le défendre, M. Jules Ferry est un des esprits les plus vigoureux, qui a le goût de la politique modérée, qui l’a peut-être aujourd’hui encore plus qu’hier. Il a cependant lui-même de la peine à se dégager d’une certaine ambiguïté. Il a prononcé il y a quelque temps, au Palais-Bourbon, un discours qui avait visiblement la prétention d’être un programme de modération ; il vient de prononcer ces jours derniers, devant une association républicaine, un nouveau discours qui est plus net encore. Que dit M. Jules Ferry ? Oh ! certes, il convient de tout ou de presque tout. Il sent le mal qui a été fait. Il reconnaît que le meilleur moyen de réviser la Constitution serait