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On veut forcer le tsar à sortir de sa réserve, il ne le veut pas : on veut le contraindre à entrer dans les grandes combinaisons dont le secret est à Berlin, à avouer des alliés, — il choisit avec une chevalerie hautaine et ironique l’alliance du plus petit prince de l’Europe orientale. On cherche tour à tour à l’aiguillonner ou à le séduire, il ne répond ni aux provocations ni aux séductions ; il demeure imperturbable avec simplicité, poursuivant sans trouble l’organisation de ses forces, ne mettant en mouvement ni un soldat de plus ni un soldat de moins, évitant tout ce qui pourrait l’engager ou troubler la paix, d’autant plus patient qu’il se sent, à tout prendre, l’arbitre des événemens. Il ne veut pas être dérangé, il tient visiblement à rester jusqu’au bout maître de ses résolutions. Si on avait compté avoir quelques éclaircissemens de plus sur les relations de la triple alliance avec la Russie à l’ouverture des délégations austro-hongroises qui viennent de se réunir, on a été un peu trompé. Ni l’empereur François-Joseph, dans son discours, ni son chancelier, le comte Kalnoky, dans les explications qu’il a données, ne précisent rien. Ils laissent peut-être tout entendre, ils se gardent d’insister sur les points délicats, d’accentuer trop vivement l’antagonisme entre l’Autriche et la Russie dans les Balkans, l’éternel champ de bataille de toutes les influences. Ils ne parlent des difficultés possibles que pour justifier les crédits militaires qu’ils demandent. L’empereur François-Joseph concilie loin, en avouant que l’état de l’Europe est toujours peu rassurant et en témoignant néanmoins encore une certaine confiance dans la durée de la paix. Le comte Kalnoky a certes mis jusqu’ici dans ses explications tout ce que la diplomatie a de plus évasif ; il est plein de réserves ou d’euphémismes, et, s’il ne s’est guère engagé au sujet des affaires de Serbie, qui touchent de si près aux affaires de Bosnie, il ne s’est pas beaucoup compromis d’un autre côté en disant, au sujet des agitations irrédentistes de Trieste, que l’Italie est une alliée aussi sûre pour l’Autriche que l’Autriche elle-même peut l’être pour l’Italie. Bref, après comme avant, les choses restent ce qu’elles sont, ni plus ni moins graves, et on ne voit pas même, par les explications échangées devant les délégations austro-hongroises, à quelle circonstance récente répondraient les bruits alarmans qui se sont répandus en Europe. C’est qu’en effet ces bruits ne sont rien, ou ils ne sont du moins que des symptômes exagérés à plaisir par des agitateurs intéressés à créer des paniques d’un moment. Le vrai danger, le danger permanent est, non dans le toast de Peterhof ou dans les dispositions que la Russie peut prendre pour sa sûreté, mais dans la situation générale telle qu’elle a été faite, dans l’excès de ces armemens qui ruinent tous les pays, qui sont une perpétuelle tentation, dans ces alliances qu’on dit imaginées pour protéger la paix et qui ne font que la compromettre. C’est là le danger profond, universel, et après tout, si depuis quelques jours, depuis