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Plevna ! Plevna ! Sophia persiste à en faire à sa tête. La Russie ne recouvrera son ascendant sur la principauté que le jour où Pétersbourg aura convaincu les Bulgares que leur autonomie n’a rien à redouter de la politique russe. C’est là une histoire de tous les temps. Louis XIV, en 1672, reprochait déjà aux Hollandais leur ingratitude, « quoiqu’il ne soit pas séant aux princes, plus qu’aux particuliers de reprocher les bienfaits dont ils ont comblé leurs amis ou leurs voisins[1]. » Louis XIV avait raison, cela est malséant, et de plus, c’est malavisé. Reprocher les services rendus, c’est le moyen de les faire discuter.

Ainsi, certains Italiens, un petit nombre, je dois le dire, ont découvert que l’Italie ne devait rien à la France. La péninsule avait-elle une dette, c’était envers Napoléon III ; les Bonaparte tombés, l’Italie ne nous doit plus rien. Sa dette envers l’empire, elle l’a du reste acquittée en élevant, à Milan, une statue à Napoléon III. Les Italiens qui raisonnent ainsi ne font que répéter ce qu’a dit et écrit plus d’un Français. Il est des patriotes, parmi nous, qui se sont appliqués à démontrer que l’affranchissement de l’Italie avait été exclusivement l’œuvre personnelle de Napoléon III. À les entendre, la France n’y a participé que forcée et contrainte ; c’est malgré elle qu’elle a été traînée à Solferino.

Par malheur, la campagne de 1859 n’est pas assez ancienne pour qu’il n’en reste des témoins. Il n’est pas besoin d’être octogénaire pour avoir vu les ouvriers de Paris acclamer l’empereur partant pour Magenta. À tort ou à raison, la guerre d’Italie a été la plus populaire des guerres du second empire. C’est presque le seul acte de Napoléon III auquel ait applaudi l’opposition. Qui en doute n’a qu’à feuilleter les collections des journaux libéraux ou démocratiques. Le fait est constant ; un vent de générosité, comme il ne s’en lève guère que dans nos plaines gauloises, soufflait alors sur la terre de France. Les Français étaient heureux d’aller à la délivrance d’un peuple. Villafranca les contrista ; ils eussent voulu pousser jusqu’à l’Adriatique. Il leur en coûtait de laisser Venise « aux Croates ; » ils pardonnaient mal à l’empereur de s’être arrêté devant la menace d’une intervention de la Prusse. Il n’était que temps cependant ; sans l’armistice conclu à la hâte par les deux empereurs, la Prusse et l’Allemagne entraient en ligne pour leur confédéré, et la France payait de l’Alsace l’affranchissement de l’Italie.

Tels sont les faits ; les reproches rétrospectifs, adressés à la politique impériale, n’y sauraient rien changer. La haine de l’empire a beau faire répéter, à nombre de Français, que l’Italie ne nous

  1. Camille Rousset, Louvois, t. I, ch. V.