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Prusse ? Est-ce le ressentiment de l’occupation de Tunis et la crainte de voir la France envahir toute la côte septentrionale de l’Afrique ? Est-ce la peur d’une intervention en faveur du Vatican et le besoin d’une garantie contre les revendications du saint-siège ? Tunis et Rome, voilà, d’ordinaire, les deux noms qu’on nous jette pour justifier l’alliance italo-allemande. Va pour Tunis et Rome ! Nous comprenons, quant à nous, que le traité du Bardo ait été désagréable aux Italiens ; nous admettons qu’ils aient pu en être froissés ; mais l’occupation de la Tunisie nous semble avoir été moins la cause que l’occasion de l’alliance italo-prussienne. Le désappointement suscité dans la péninsule par le protectorat français a déterminé l’Italie officielle à une évolution, vers laquelle la politique l’inclinait déjà. Le drapeau français n’était pas planté sur les ruines de Carthage, en 1873, lorsque le roi Victor-Emmanuel allait saluer à Merlin l’empereur Guillaume Ier, ou, en 1877, lorsque M. Crispi, à la veille de devenir ministre, avait soin d’aller prendre langue auprès du chancelier. Les Français eussent abandonné Tunis à M. Maccio, que l’Italie ne s’en fût pas moins rapprochée de Berlin. M. de Bismarck, qui, pour l’amener à lui, l’a tour à tour publiquement malmenée et cajolée, avait plusieurs prises sur l’Italie. Il avait Rome, et, lorsqu’il entrait en coquetterie avec le pape Léon XIII, lorsqu’il faisait mine d’encourager les espérances de la curie, le chancelier savait pour qui il travaillait. Si, à Berlin, le Quirinal est allé chercher une garantie contre les revendications du Vatican, la première des puissances contre l’intervention desquelles la maison de Savoie travaillait à se prémunir, c’était l’Allemagne de M. de Bismarck. Pour singulier que cela semble, c’est contre ses propres alliés que l’Italie se mettait ainsi en garde. Devenir l’amie officielle de l’Allemagne lui semblait le meilleur moyen d’empêcher Berlin de soulever la question de Rome, — et quel autre cabinet eût osé prendre une telle initiative ?

Les rapports des États sont souvent gouvernés par une secrète logique que les historiens découvrent après coup. L’alliance italo-allemande était faite pour suggérer les explications des écrivains philosophes. Ils n’y ont manqué ni à Rome, ni à Berlin. L’entente des deux puissances repose, à les croire, sur la solidarité naturelle de la nouvelle Allemagne et de l’Italie nouvelle, sur les affinités de l’unité italienne et de l’unité allemande. Les deux révolutions n’offrent-elles pas une sorte de parallélisme ? — Rien de plus simple et de plus philosophique, semble-t-il : aussi pareil raisonnement agrée-t-il à nombre d’esprits ; il contribue à la force de l’alliance en lui conférant une sorte de cachet scientifique, en lui donnant l’aspect d’une fatalité historique, qui paraît la faire rentrer dans les lois de la nature. Pour qui ne se contente pas de