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place[1] ; mais M. Crispi serait renversé, la droite, reconstituée, reviendrait au pouvoir, que l’alliance n’en serait pas ébranlée. L’entente italo-prussienne, au lieu d’être célébrée avec les airs de bravoure de M. Crispi, pourrait être chantée mezza voce ; elle n’en resterait pas moins au programme du théâtre italien. Elle a de plus hauts patrons que les ministres. Il est douteux que les hommes qui osent se montrer hostiles à l’alliance de Berlin entrent, de longtemps, dans les conseils du roi d’Italie. Leur opposition même à l’alliance les en écarte. Ainsi s’explique comment toutes les attaques dirigées contre elle, en Italie, Tout plutôt resserrée que relâchée.

Pour que cette alliance soit le palladium du trône, il ne suffit pas cependant qu’elle soit mal vue des républicains. La maison de Savoie montre trop peu de confiance en elle-même et en l’Italie, lorsqu’elle semble s’appuyer sur ses alliances impériales. En réalité, la monarchie italienne n’a besoin d’aucun étai étranger. Craindre la contagion républicaine, c’est, de sa part, faire trop d’honneur à la république française. Des lagunes à l’Etna, l’arbre de Savoie a poussé de trop profondes racines pour être ébranlé par les vents du dehors. Je ne sache pas, dans toute l’Europe, de dynastie plus solide, parce qu’il n’en est pas de plus nationale. Elle a un grand avantage : elle a beau avoir été récemment transplantée du Piémont, elle tient au sol par des racines multiples qu’on ne peut couper toutes à la fois. L’Italie a de vieilles et admirables cités ; elle n’a pas de capitale en état de faire une révolution. Certes, la monarchie italienne a ses difficultés, quel gouvernement n’a les siennes ? Elle a même, de par ses origines, à Rome notamment, des difficultés inconnues d’autres pays ; mais il n’en est point dont elle ne puisse triompher avec de la sagesse, du tact et du temps. L’unique danger pour elle, en dehors d’une guerre malheureuse, c’est l’appauvrissement, par suite le mécontentement du pays. Or, ce danger, la triple alliance l’y expose plus qu’elle ne l’en préserve. Le moment peut venir où le peuple se demandera si cette onéreuse alliance profile au trône ou au pays. Le plus grand péril pour les monarchies modernes, c’est de laisser croire qu’elles ont une politique dynastique plus conforme aux préventions ou aux intérêts de la couronne qu’au sentiment ou aux intérêts de la nation. Que la triple alliance soit renouvelée, — si elle ne l’est déjà, — il ne faudra peut-être pas des années pour que l’Italie se pose cette redoutable question.

La triple alliance n’est déjà pas très populaire. Le journal le plus répandu de la péninsule, le Secolo, la combat

  1. Voir, dans la Revue, les Chroniques de la quinzaine et l’étude de M. Valbert, du 1er janvier 1889.