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— Tu as bien parlé, Théodore, répondit l’évêque. Et il conduisit la petite troupe dans sa maison, qui était toute proche. Elle se composait d’une seule chambre, meublée de deux métiers de tisserand, d’une table grossière et d’un tapis tout usé. Dès qu’ils y furent entrés :

— Nitida, cria le Nubien, apporte une poêle et de l’huile et faisons un bon repas.

En parlant ainsi, il tira de dessous son manteau des petits poissons qu’il y tenait cachés. Puis, ayant allumé un grand feu, il les fit frire. Et tous, l’évêque, l’enfant, les deux jeunes garçons et les deux esclaves, s’étant assis en cercle sur le tapis, mangèrent les poissons frits en bénissant le Seigneur. Vivantius parlait du martyre qu’il avait souffert et annonçait le triomphe prochain de l’Église. Son langage était rude, mais plein de jeux de mots et de figures. Il comparait la vie des justes à un tissu de pourpre et, pour expliquer le baptême, il disait :

— L’Esprit-Saint flotta sur les eaux, c’est pourquoi les chrétiens reçoivent le baptême de l’eau. Mais les démons habitent aussi les ruisseaux ; les fontaines consacrées aux nymphes sont redoutables, et l’on voit que certaines eaux apportent diverses maladies de l’âme et du corps.

Parfois il s’exprimait par énigmes et il inspirait ainsi à l’enfant une profonde admiration. A la fin du repas, il offrit un peu de vin à ses hôtes dont les langues se délièrent et qui se mirent à chanter des complaintes et des cantiques. Ahmès et Nitida, s’étant levés, dansèrent une danse nubienne qu’ils avaient apprise enfans, et qui se dansait sans doute dans la tribu depuis les premiers âges du monde. C’était une danse amoureuse ; agitant les bras et tout le corps balancé en cadence, ils feignaient tour à tour de se fuir et de se chercher. Ils roulaient de gros yeux et montraient dans un sourire des dents étincelantes.

C’est ainsi que Thaïs reçut le saint baptême.

Elle aimait les amusemens et, à mesure qu’elle grandissait, de vagues désirs naissaient en elle. Elle dansait et chantait tout le jour des rondes avec les enfans errant dans les rues et elle regagnait, à la nuit, la maison de son père en chantonnant encore. Maintenant, elle préférait à la compagnie du doux Ahmès celle des garçons et des filles. Elle ne s’apercevait point que son ami était moins souvent auprès d’elle. La persécution s’étant ralentie, les assemblées des chrétiens devenaient plus régulières et le Nubien les fréquentait assidûment. Son zèle s’échauffait ; de mystérieuses menaces s’échappaient parfois de ses lèvres. Il disait que les riches ne garderaient point leurs biens. Il allait dans les places publiques