Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— À la tant désirée !

— À celle qui donne la souffrance et la guérison !

— À la perle de Racotis !

— À la rose d’Alexandrie !

Elle attendit impatiemment que ce torrent de louanges eût coulé ; puis elle dit à Cotta, son hôte :

— Lucius, je t’amène un moine du désert, Paphnuce, abbé d’Antinoé ; c’est un grand saint, dont les paroles brûlent comme du feu.

Lucins Aurélius Cotta, préfet de la flotte, s’étant levé :

— Sois le bienvenu, dit-il, Paphnuce, toi qui professes la foi chrétienne. Moi-même, j’ai quelque respect pour un culte désormais impérial. Le divin Constantin a placé tes coreligionnaires au premier rang des amis de l’empire. La sagesse latine devait, en effet, admettre ton Christ dans notre Panthéon. C’est une maxime de nos pères qu’il y a en tout dieu quelque chose de divin. Mais laissons cela. Buvons et réjouissons-nous, tandis qu’il en est temps encore.

Le vieux Cotta parlait ainsi avec sérénité. Il venait d’étudier un nouveau modèle de galère et d’achever. le sixième livre de son histoire des Carthaginois. Sûr de n’avoir point perdu sa journée, il était content de lui et des dieux.

— Paphnuce, ajouta-t-il, tu vois ici plusieurs hommes dignes d’être aimés : Hermodore, grand-prêtre de Sérapis, les philosophes Dorion, Nicias et Zénothémis, le poète Callicrate, le jeune Chéréas et le jeune Aristobule, tous deux fils d’un cher compagnon de ma jeunesse et près d’eux Philinna avec Drosé, qu’il faut louer grandement d’être belles.

Nicias vint embrasser Paphnuce et lui dit à l’oreille :

— Je t’avais bien averti, mon frère, que Vénus était puissante. C’est elle dont la douce violence t’a amené ici malgré toi. Écoute, tu es un homme rempli de piété ; mais si tu ne reconnais qu’elle est la mère des dieux, ta ruine est certaine. Sache que le vieux mathématicien Mélanthe a coutume de dire : Je ne pourrais pas, sans l’aide de Vénus, démontrer les propriétés d’un triangle. Dorion qui, depuis quelques instans, considérait le nouveau venu, soudain frappa des mains et poussa des cris d’admiration.

— C’est lui, mes amis ! Son regard, sa barbe, sa tunique : c’est lui-même ! je l’ai rencontré au théâtre pendant que notre Thaïs montrait ses bras ingénieux. Il s’agitait furieusement et je puis attester qu’il parlait avec violence. C’est un honnête homme : il va nous invectiver tous ; son éloquence est terrible. Si Marcus est le Platon des chrétiens, Paphnuce est leur Démosthène. Épicure, dans son petit jardin, n’entendit jamais rien de pareil.