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celles-ci soient claires et celles-là sombres. Mais si elles étaient douées de pensée et de connaissance, les blanches diraient : il est bien qu’une olive soit blanche, il est mal qu’elle soit noire, et le peuple des olives noires détesterait le peuple des olives blanches. Nous en jugeons mieux, car nous sommes autant au-dessus d’elles que les dieux sont au-dessus de nous. Pour l’homme qui ne voit qu’une partie des choses, le mal est un mal ; pour Dieu qui comprend tout, le mal est un bien. Sans doute la laideur est Laide et non pas belle ; mais si tout était beau, le tout ne serait pas beau. Il est donc bien qu’il y ait du mal, ainsi que l’a démontré le second Platon, plus grand que le premier.

EUCRITE.

Parlons plus vertueusement. Le mal est un mal, non pour le monde dont il ne détruit pas l’indestructible harmonie, mais pour le méchant qui le fait et qui pouvait ne pas le faire.

COTTA.

Par Jupiter ! voilà un bon raisonnement !

ZÉNOTHÉMIS.

Pour moi, mes amis, je crois aussi à la réalité du bien et du mal. Mais je suis persuadé qu’il n’est point une seule action humaine, fût-ce le baiser de Judas, qui ne porte en elle un germe de rédemption. Le mal concourt au salut final des hommes et, en cela, il procède du bien et participe des mérites attachés au bien. Et ce mystère de la rédemption, je vous dirai, chers amis, pour peu que vous soyez curieux de l’entendre, comment il s’accomplit véritablement sur la terre.


Les convives firent un signe d’assentiment. Comme des vierges athéniennes avec les corbeilles sacrées de Cérès, douze jeunes filles, portant sur leur tête des paniers de grenades et de pommes, entrèrent dans la salle d’un pas léger dont la cadence était marquée par une flûte invisible. Elles posèrent les paniers sur la table, la flûte se tut, et Zénothémis parla de la sorte :

— Quand Eunoia, la pensée de Dieu, eut créé le monde, elle confia aux anges le gouvernement de la terre. Mais ceux-ci ne gardèrent point la sérénité qui convient aux maîtres. Voyant que les filles des hommes étaient belles, ils les surprirent le soir, au bord des citernes, et ils s’unirent à elles. De ces hymens sortit une race violente qui couvrit la terre d’injustices et de cruautés, et la poussière