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sa déchéance était involontaire et que les anges l’avaient entraînée dans leur chute.

ZÉNOTHÉMIS.

Hermodore, il est vrai que des hommes, mal initiés aux mystères, ont pensé que la triste Eunoia n’avait pas consenti sa propre déchéance. Mais, s’il en était ainsi qu’ils prétendent, Eunoia ne serait pas la courtisane expiatrice, l’hostie couverte de toutes les macules, le pain imbibé du vin de nos hontes, l’offrande agréable, le sacrifice méritoire, l’holocauste dont la fumée monte vers Dieu. S’ils n’étaient point volontaires, ses péchés n’auraient point de vertu.

CALLICRATE.

Mais ne sait-on point, Zénothémis, dans quel pays, sous quel nom, en quelle forme adorable vit aujourd’hui cette Hélène, toujours renaissante ?

ZÉNOTHÉMIS.

Il faut être très sage pour découvrir un tel secret. Et la sagesse, Callicrate, n’est pas donnée aux poètes qui vivent dans le monde grossier des formes et s’amusent, comme les enfans, avec des sons et de vaines images.

CALLICRATE.

Crains d’offenser les dieux, impie Zénothémis ; les poètes leur sont chers. Les premières lois furent dictées en vers par les immortels eux-mêmes, et les oracles des dieux sont des poèmes. Les hymnes ont pour les oreilles célestes d’agréables sons. Qui ne sait que les poètes sont des devins et que rien ne leur est caché ? Étant poète moi-même et ceint du laurier d’Apollon, je révélerai à tous la dernière incarnation d’Eunoia. L’éternelle Hélène est près de nous ; elle nous regarde et nous la regardons. Voyez cette femme accoudée aux coussins de son lit, si belle et toute songeuse, et dont les yeux ont des larmes, les lèvres des baisers. C’est elle. Charmante comme aux jours de Priam et de l’Asie en fleur, Eunoia se nomme aujourd’hui Thaïs.

PHILINNA.

Que dis-tu, Callicrate ? Notre chère Thaïs aurait connu Pâris, Ménélas et les Achéens aux belles cnémides qui combattirent devant Ilion ! Était-il grand, Thaïs, le cheval de Troie ?