Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres vagues, dont le sens final nous échappe. Car enfin, qu’est-ce que le poème d’Endymion ? Est-ce une pure féerie ? Est-ce une allégorie ? Est-ce un poème philosophique à la façon de l’Alastor de Shelley ? Est-ce tout cela à la fois ? Si c’est une féerie, si l’œuvre doit être jugée comme une pure fantaisie, il est permis de la trouver un peu longue. Il y a, certes, des morceaux parfaits ; il y a une belle souplesse de l’imagination ; on reconnaît l’homme qui écrivait : « La poésie doit venir aussi naturellement que les feuilles aux arbres, ou ne pas venir ; » il y a un don tout spenserien pour créer et combiner des formes et des couleurs, — quelque chose comme le talent d’un peintre qui aurait méconnu sa vocation et se serait fourvoyé dans la poésie. Mais il y a bien des longueurs et bien des bavochures. Dès 1820, Jeffrey, comparant dans la Revue d’Edimbourg Keats à ses modèles, Fletcher, Ben Jonson et Milton, constatait que chez les uns l’imagination est tenue en bride par le jugement, au lieu qu’elle est toute-puissante et comme déchaînée chez l’autre, Keats lui-même comparait l’esprit de l’auteur d’Endymion « à un jeu de cartes éparpillé. » Ce qui lui manquait encore, en 1817, c’était donc cette parfaite possession et sobriété de l’imagination qu’il devait acquérir dans Hypérion. Mais il lui manquait autre chose encore : à savoir, un peu de philosophie. Car il importe de constater, pour détruire une illusion encore commune, que si Endymion n’est pas une pure féerie, il n’est rien. On nous dit, il est vrai, et M. Sidney Colvin semble croire, qu’il y a une pensée morale cachée sous cette trame brillante. Endymion personnifierait l’âme humaine en quête de la beauté éternelle, et ce serait une sorte de mythe, assez semblable à celui de Psyché, que cette longue poursuite, à travers quatre livres, d’une déesse toujours fuyante. Mais si Keats a jamais songé (ce que je ne crois pas, car il n’en est nulle part question dans ses lettres) à un mythe de ce genre, il faut avouer qu’il a pris un soin extrême de le dissimuler. Car, dans un poème philosophique, il faut des personnages philosophiques : un Faust ou un Méphistophélès, un Manfred ou un Prospero. Or je vois bien, dans Endymion, de gracieuses divinités, des nymphes et des bergers ; mais qui définira le caractère du seul personnage proprement dit ? qui trouvera rien d’humain, c’est-à-dire de philosophique, dans Endyimon ? « La musique de ce nom est comme entrée dans mon être, » nous dit Keats. Mais quelques syllabes harmonieuses ne font pas un caractère. Le besoin vague d’aimer une déesse ne constitue pas un personnage. Endymion, qu’on ne s’y trompe pas, n’est pas un frère de Manfred ou de René ; son mal n’est pas le Weltschmerz ; sa tristesse ne vient pas d’un effondrement de ses croyances. Toute cette