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souvent as charmé des fenêtres magiques, s’ouvrant sur l’écume des mers périlleuses, dans des pays féeriques et délaissés ! »

Il me semble qu’il y a dans ces beaux vers autant d’émotion que dans les plus belles pages de Byron, et que toutes les théories du monde n’y font rien. Ce qu’il est vrai de dire, c’est que Keats est séparé des poètes ses contemporains, notamment de Shelley, par une idée plus exclusive de la poésie. Au lieu qu’elle a été pour Shelley l’expression la plus haute de la philosophie et le plus puissant moyen de propager des idées, — une sorte d’ascension indéfinie vers le bien de l’humanité, — Keats s’est obstinément refusé à voir en elle autre chose qu’une recherche passionnée de la beauté. « Je suis certain, dit-il, que j’écrirais sous la seule influence de mon ardent désir du beau, alors même que mon travail de la nuit devrait être brûlé chaque matin, sans qu’aucun œil humain dût s’y reposer jamais. » Qui veut aimer Keats doit aimer la poésie d’un amour absolu et sans limites. Elle n’est pas, en effet, un délassement d’une heure ou d’un jour, elle n’est pas simplement un repos, un rafraîchissement de l’âme : elle est, suivant le mot de Kant, une fin en soi. « Il n’y a pas d’être au monde qui vive d’une vie plus vraie qu’un écrivain de talent. « Il n’y en a pas non plus de plus bienfaisant, car « ce que l’imagination saisit comme beau doit être vrai. » Nous touchons ici à l’idée qui est au fond de toute la poésie ; de Keats, à celle qu’il aurait vraisemblablement creusée s’il eût vécu, à savoir que le vrai est une forme du beau, qui en est l’expression la plus élevée et la plus complète. L’idée de beauté est suprême à ses yeux, et il lui subordonne tout le reste, sans Voir qu’il y a dans l’idée même de vérité des élémens irréductibles et incompatibles avec celle du plaisir esthétique. Mais Keats se défiait de la pure intelligence : « Je n’ai jamais pu comprendre, écrit-il naïvement dans une lettre de 1817, comment on peut arriver à la vérité par le raisonnement. » Il lui est toujours resté quelque chose de cette première défiance contre les voies logiques de l’esprit. La vérité lui semblait, comme à beaucoup de ses contemporains, affaire de révélation et d’intuition, et cela seul suffirait à le distinguer du groupe des Godwin et des Shelley, qui se rattachait si directement au XVIIIe siècle, par un certain fonds de doctrines philosophiques et sociales. Il lui semblait que, si la vérité se révèle à l’homme, il n’y a pas de révélation plus triomphante que celle de la beauté. Qu’est-ce, en effet, qui saisit plus fortement les âmes de cette trempe, les entraîne et les enivre plus complètement ? Là est la certitude absolue, là le repos. Si l’on ajoute qu’entre toutes les sortes de beautés, celle de la forme est la plus fixe et la moins troublante, en même temps que la