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et les arabesques de là-bas, pour donner aux Parisiens les visions d’Ispahan et de Samarcande. Les dômes ne sont pas le seul exemple de cette adaptation habile de l’art oriental, qui n’est pas une imitation. Pour décorer le cintre de quelques portes, la terre cuite s’est approprié l’encadrement habituel des porches de mosquées, la colonnette de marbre ou de faïence tordue en spirale ; pour déguiser la monotonie prosaïque des boulons, on les a dorés et ciselés en têtes de clous arabes, sur le voussoir de l’entrée principale. Mais ces élémens orientaux sont fondus dans un arrangement occidental ; ce qui est bien de notre pays, du pays de Limosin et de Palissy, ce sont les médaillons, les frises, les cartouches, où la céramique intervient avec une délicatesse toute française de relief et de couleur. Les moindres détails décèlent une pensée inventive ; entre autres, ces plaques de poterie ornementée, encastrées dans les caissons à jour des piliers de tôle.

Si l’on tirait le Palais des beaux-arts de l’amoncellement du Champ de Mars, où la valeur particulière de chaque édifice est noyée dans l’effet général de kaléidoscope, si on l’isolait sur une éminence, — par exemple à la place du morne et pesant Trocadéro, — je gage que tous les yeux seraient frappés par la bonne grâce et la nouveauté du monument. — Monument ! On jugera peut-être le mot bien gros pour ces constructions temporaires. Il ne faut rien exagérer, et je ne prétends pas qu’on ait érigé là le Parthénon de l’avenir. Je crois simplement que l’exacte histoire, quand elle racontera le règne du fer et l’instant où il s’inquiéta de plaire, mentionnera avec honneur, à côté du grand squelette où MM. Dutert et Contamin ont dégagé les lois anatomiques du métal, les créations originales où M. Formigé l’a habillé. Comme dans la vision d’Ézéchiel, cet habile homme a fait croître la chair et tendu une peau sur les ossemens arides, il leur a soufflé l’esprit de vie, l’esprit de l’art.

Je prévois l’objection : comment fonder un principe d’art sur des bâtisses éphémères, que le tombereau du démolisseur emportera dans quelques mois ? — Ceci n’est pas entièrement prouvé ; il est question de conserver les palais au Champ de Mars ou de les déménager ailleurs ; comme ce vaste pavillon de la république Argentine, signalé aux promeneurs par les cordons de rubis et d’émeraudes que la lumière électrique allume dans ses cabochons de verre ; un vaisseau va le transporter de toutes pièces par-delà l’Océan, pour faire longtemps encore l’orgueil de Buenos-Ayres. Mais quel que soit le sort des palais de l’Exposition, il faut bien reconnaître que les constructions en fer auront ce double caractère, d’être mobiles et relativement peu durables. — Et si c’était précisément là le caractère probable de l’architecture à venir ?