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commes ont adoré cet art que nous blasphémons ; d’illustres interprètes l’ont fidèlement servi. Quels virtuoses il fallait à cette musique ! Quels chanteurs à de telles chansons ! Il semble que nulle exécution ne pourrait plus sauver aujourd’hui les Puritains ou la Somnambule. Celle-ci fût-elle encore mieux chantée que par Mme Sembrich, et ce n’est pas peu dire, je préférerais encore qu’elle ne fût pas chantée du tout. Et I Puritani ! Mme Repetto Trisolini, qui n’est pas non plus sans talent, ne m’a fait ni les aimer, ni comprendre qu’on les eût aimés jamais. On y peut trouver quelques grâces furtives, de jolies et douces choses, un beau finale au second acte, de la tendresse et de la mélancolie dans la scène de la folie, épisode obligé de tout opéra italien, mais quel ensemble ! quelle conception du drame musical ! quelle tyrannie de l’odieuse virtuosité ! quelle misère harmonique, chorale, instrumentale ! quelle profanation de cette forme musicale divine, la mélodie, que de pareilles œuvres devaient forcément compromettre et discréditer, faire méconnaître et faire haïr ! De ces mélodies-là, huit sur dix ne méritaient pas d’être notées, tellement elles sont pauvres et vulgaires ! Avec cela, toutes pareilles : ténor, baryton, prima donna se lancent tour à tour dans le même adagio, suivi du même récitatif et du même allegro. Après quinze jours de théâtre italien, la mémoire ne distingue plus les Puritains de la Somnambule.

Pourtant les poètes se sont écriés avec regret : Bellini tombe et meurt ! Comme on comprend mieux, à certains jours où l’idéal se métamorphose, le mot de Rossini : la musique est le plus viager de tous les arts ! Que penserait-il aujourd’hui de certaines romances d’alors, voire de quelques-unes des siennes, lui, le grand Italien du siècle, lui qui dans son œuvre inégale a fait d’avance le choix de la postérité. Il donnerait sans doute, quitte à désobliger ses compatriotes. Maria di Rohan pour le premier acte des Pêcheurs de perles et tout le répertoire de Bellini pour l’Orphée de Gluck. M. Sonzogno a représenté aussi ces deux ouvrages : il a même, avec une bonne grâce remarquée, inauguré par un opéra français, confié à des artistes français, la saison italienne en France.

M. Gounod disait un jour : Il suffit d’un interprète pour calomnier un chef-d’œuvre. Les Pêcheurs de perles ne sont pas un chef-d’œuvre : mais les calomniateurs ne leur ont pas manqué. La première partition de Bizet, presque oubliée chez nous, renferme des parties très médiocres, mais d’autres charmantes, notamment un premier acte exquis. Ceux qui ne connaissaient pas ce premier acte n’ont pu s’en faire une idée ; les autres n’ont pu le reconnaître. M. Talazac a trop perdu ; Mlle Calvé n’a pas assez gagné, et M. Lhérie, depuis qu’il chante au-delà des Alpes, s’est fait naturaliser par trop italien. Il roule des yeux terribles et gesticule avec fureur ; on le trouverait exagéré, même en