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REVUE. — CHRONIQUE.

dépendance du saint-siège ; de la résidence du souverain pontife à Rome que le cours des événemens a transformée, qui touché à tout, à l’ordre européen, à la paix diplomatique comme à la paix morale, avec laquelle, bon gré mal gré ; toutes les politiques sont obligées de compter. Vainement les Italiens croient la supprimer ou la pallier en prétendant qu’elle n’existe plus depuis qu’ils sont à Home, qu’il n’y a plus qu’une affaire tout intérieure ; tout italienne. La réalité trouble leurs illusions. Le problème n’est pas résolu ; il reste tout entier, et il suffit d’un simple incident pour le remettre en lumière dans sa gravité, avec ses caractères et ses conséquences. Cette fois il a suffi de la commémoration bruyante, retentissante d’un philosophe qui ne pouvait guère s’attendre à pareille fortune, de Giordano Bruno : commémoration, à laquelle les libres penseurs italiens ont visiblement voulu donner le caractère d’une manifestation contre la papauté, que le pape à son tour a ressentie comme une injure. Le pape Léon XIII ne s’est pas borné à protester d’un accent ému, pathétique, dans un consistoire, contre un acte accompli à quelques pas du Vatican, sous les yeux mêmes et avec la tolérance du gouvernement. Pour la première fois il paraît avoir prévu la nécessité de quitter Rome et la confession de Saint-Pierre, d’aller chercher un asile dans un pays étranger ; il aurait mis en délibération son départ éventuel. Chose singulière ! Depuis près de vingt ans, les Italiens sont à Rome, devenue la capitale du nouveau royaume ; ils y sont sans résistance, sans contestation de la part des gouvernemens de l’Europe. Ils ont eu la chance de voir arriver au pontificat un pape à l’esprit politique et mesuré. En réalité ; ils ne sont pas plus avancés ; à la première occasion ils voient reparaître devant eux lu même difficulté toujours aussi sérieuse, toujours aussi insoluble. Tout finit par la menace du départ du pape qui ne serait pas une solution !

On pourrait dire de cette coexistence de la papauté et du gouvernement italien à Rome, ce que le cardinal de Retz disait en parlant des droits du roi et des droits du peuple, qui « ne s’accordent jamais mieux que dans le silence. » Évidemment, les Italiens étaient intéressés à maintenir ce « silence » favorable, à éviter les chocs, les froissemens, les conflits, à laisser au pape les apparences, les prérogatives, les prestiges de l’indépendance, à lui faire en un mot une situation telle qu’il put paraître toujours le chef libre et respecté de l’église aux yeux de la masse des catholiques, C’est ce qu’entendait Cavour autrefois lorsqu’il disait, en homme capable de réaliser son programme, qu’on devait aller à Rome « sans diminuer la dignité et l’indépendance du pape. » C’était aussi à un certain degré, si l’on veut, la pensée et l’objet ta la loi des garanties. Malheureusement, il est trop clair que s’il y a eu des désirs, même parfois des tentatives de conciliation, il y a eu aussi une série d’actes, de lois pénales, de dépossessions, de manifestations