Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il avait su s’insinuer, de bonne heure, dans la faveur de Marie de Médicis. Richelieu n’était probablement pas sans arrière-pensée lorsqu’il appela Bérulle dans son diocèse pour y fonder un séminaire. Nous avons vu qu’il avait décliné, à ce sujet, les offres des jésuites. Le monde dans lequel il vivait, évêques gallicans, futurs jansénistes, théologiens anglais, capucins, oratoriens, était plutôt hostile à la Compagnie. Le projet de séminaire n’aboutit pas, du moins tel que Richelieu l’avait conçu. Mais les oratoriens n’en vinrent pas moins s’établir à Luçon, et Richelieu nous apprend qu’ils trouvèrent dans cette ville « la seconde maison qu’ils possédèrent dans le royaume. »

Bérulle se lia d’une amitié assez étroite avec Richelieu. Il fut de ceux qui contribuèrent à la fortune de l’évêque de Luçon et qui l’aidèrent à gagner, après la mort de Henri IV, le premier rang dans l’intimité de la reine-régente.


Il est vrai que Richelieu ne se souvint pas toujours de ce service. Mais une telle conduite n’a rien qui doive nous étonner de la part de cet homme. Il avait une tendresse larmoyante, toute de surface, qui pouvant au premier abord, tromper les âmes tendres, dominées d’ailleurs par la force de son esprit. Mais le fond de son cœur était froid. Jamais un sentiment ne l’écarta de la ligne que ses calculs lui avaient tracée.

Beaucoup l’aimèrent. Il aima peu. Il n’eut jamais qu’une passion, l’ambition. Les autres sentimens s’effacèrent toujours en lui devant cette maîtresse exigeante. Il devait tromper, il devait abandonner tous ces amis de sa jeunesse, tous ces compagnons de ses premiers travaux, tous ces hommes dont le mérite avait su le comprendre et qui faisaient reposer sur lui leurs plus pieuses, leurs plus chères espérances. À cette époque, un même zèle ecclésiastique les unissait tous. Mais, pour Richelieu, ce n’était déjà plus qu’un voile qui couvrait d’autres desseins.

Ces gallicans devaient le voir bientôt, aux états de 1614, soutenir, au nom du clergé, les principes ultramontains ; ces jansénistes ne devaient pas rencontrer, à leur début, de pire adversaire ; ces catholiques enfin, — et ce mot avait, à cette date, un sens politique tout spécial, — ces catholiques devaient voir le cardinal arrivé et choisi par eux, soudainement leur tourner le dos, rechercher l’alliance des politiques et des protestans, les pourchasser et les combattre jusqu’à l’exil, jusqu’à la prison, jusqu’à l’échafaud.

Seul, de ses amis des premiers temps, le père Joseph resta près de lui. La politique, qui les sépara des autres, les unit au contraire plus fortement. Une confidence grave et forte s’établit de bonne