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les grands qui étoient les plus industrieux à faire des brouilleries : et les brouilleries étoient telles et y avoit si peu de sécurité en l’établissement des choses, que les ministres étoient plus occupés aux moyens nécessaires pour leur conservation qu’à ceux qui étoient nécessaires pour l’Etat. » Le gouvernement de la reine, pauvre, timide, tiraillé, sans prestige, se défendait mollement contre des accusations insaisissables ou contradictoires. Pour les écarter, il eût suffi qu’un mot fût prononcé avec autorité. Mais c’est justement l’autorité qui manquait à ce gouvernement, qu’on accusait d’abuser de la sienne.

Aussitôt la publication de son manifeste, Condé esquissa quelque chose comme une prise d’armes. Le peuple ne bougea pas. Tout était tranquille. Si le gouvernement de la reine n’était pas fort, il était doux. On avait le souvenir encore présent des misères civiles. On végétait dans une sorte d’indifférence que les objurgations intéressées de Condé et de ses amis ne pouvaient secouer.

Le gouvernement de la régente rassembla une armée. Les conjurés, mal préparés, prirent peur. La reine ne demandait qu’à s’entendre. Elle craignait que sa force ne se brisât, si elle en faisait seulement l’essai. Des pourparlers furent engagés à Soissons, d’abord, puis à Sainte-Menehould. Les princes obtinrent à peu près tout ce qu’ils voulurent : des places, des châteaux, des gouvernemens, de l’argent, et, enfin, pour ne pas abandonner tout leur programme populaire, la promesse de la réunion des états-généraux.

La profitable équipée des princes n’avait fait que rider la face du royaume ; pourtant, elle avait agité un peu plus profondément le Poitou et avait eu, dans cette province, des suites un peu plus graves.

Le prince de Condé, se rendant à sa maison de Rochefort-sur-Creuse, devait passer près de Poitiers. Les magistrats municipaux résolurent d’aller, comme de coutume, au-devant de lui et de le saluer. Sur ces entrefaites, arrive une lettre de la reine, datée du 13 février 1614, qui se plaignait vivement du prince. Les ennemis du maire répandirent aussitôt le bruit que le projet de voyage annoncé n’avait d’autre objet que de livrer la ville au prince de Condé. On disait aussi que la reine, mécontente de Poitiers, avait conçu le dessein d’y construire une citadelle et d’y mettre une garnison.

Un vif mouvement d’opposition se fit alors contre le maire, Scévole de Sainte-Marthe. Celui-ci se trouvait ainsi, bon gré mal gré,