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plus fermement encore. Et, pour mieux dire, il faut que ce soit absurde. Sans cela, je ne le croirais pas : je le saurais. Or ce que l’on sait ne donne point la vie, et c’est la foi seule qui sauve. Il exposait au soleil et à la rosée les fibres détachées, et chaque matin il prenait soin de les retourner pour les empêcher de pourrir, et il se réjouissait de sentir renaître en lui la simplicité de l’enfance.

Quand il eut tissé sa corde, il coupa des roseaux pour en faire des nattes et des corbeilles. La chambre sépulcrale ressemblait à l’atelier d’un vannier, et Paphnuce y passait aisément du travail à la prière. Pourtant Dieu ne lui était pas favorable, car une nuit il fut réveillé par une voix qui le glaça d’horreur : il avait deviné que c’était celle du mort. La voix faisait entendre un appel rapide, un chuchotement léger :

— Hélène ! Hélène ! viens te baigner avec moi ! Viens vite !

Une femme, dont la bouche effleurait l’oreille du moine, répondit :

— Ami, je ne puis me lever ; un homme est près de moi.

Tout à coup, Paphnuce s’aperçut que sa joue reposait sur le sein d’une femme. Il reconnut la joueuse de théorbe, qui, dégagée à demi, soulevait sa poitrine. Alors, il étreignit désespérément cette fleur de chair tiède et parfumée, et, consumé du désir de la damnation, il cria :

— Reste ! reste, mon ciel !

Mais elle était déjà debout, sur le seuil. Elle riait, et les rayons de la lune argentaient son sourire.

— A quoi bon rester ? disait-elle. L’ombre d’une ombre suffit à un amoureux doué d’une si vive imagination.

Paphnuce pleura dans la nuit ; et, quand vint l’aulne, il exhala une prière plus douce qu’une plainte :

— Jésus, mon Jésus, pourquoi m’abandonnes-tu ? Tu vois le danger où je suis. Viens me secourir, doux sauveur. Puisque ton père ne m’aime plus, puisqu’il ne m’écoute pas, songe que je n’ai que toi. De lui à moi, rien n’est possible ; je ne puis le comprendre et il ne peut me plaindre. Mais toi, tu es né d’une femme, et c’est pourquoi j’espère en toi. Souviens-toi que tu as été homme. Je t’implore, non parce que tu es Dieu de Dieu, lumière de lumière. Dieu vrai du Dieu vrai, mais parce que tu vécus pauvre et faible sur cette terre où je souffre, parce que Satan voulut tenter ta chair, parce que la sueur de l’agonie glaça ton front. C’est ton humanité que je prie, mon Jésus, mon frère Jésus.

Après qu’il eut prié ainsi, en se tordant les mains, un formidable éclat de rire ébranla les murs du tombeau, et la voix qui avait résonné sur le faîte de la colonne dit en ricanant :