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leur règne d’un moment, et étaleront, sans vergogne, la saturnale des fous, des cabotins et des chenapans. » Assurément, il y avait en 1792 et en 1793 beaucoup de chenapans, de cabotins et de fous ; il y en eut dans tous les siècles, il y en aura toujours ; ce n’est pas là ce qui caractérise une époque. Les croisades, la réforme, la révolution anglaise ont eu leurs hallucinés, leurs comédiens et leurs drôles. Toutes les lois que se produit une de ces grandes crises de l’histoire qui remettent tout en question, les esprits pervers ou détraqués sont en joie et profitent d’une si belle occasion pour montrer tout ce qu’ils savent et tout ce qu’ils peuvent. Les extravagans déraisonnent à l’envi, les hommes d’imagination théâtrale paradent sur les tréteaux, les scélérats se croient les maîtres du monde et disent : « L’univers est mon huître ! » — jusqu’au jour où la terre s’entr’ouvre et les engloutit. Le montagnard Thuriot se plaignait que la France, à partir du 31 mai, « eût été livrée au coquinisme. » Le coquinisme est une maladie de tous les siècles et de tous les climats ; mais il ne faut pas confondre son histoire avec celle du genre humain.

M. Goumy en veut moins peut-être aux coquins qui ont soufflé la révolution qu’aux honnêtes gens inexpérimentés, crédules, maladroits, qui n’ont pas su la gouverner et la conduire. Mieux inspirés ou moins ignorans, ils auraient compris que leur premier intérêt était d’accorder les nouveautés avec les traditions nationales. Ils ont humilié, outragé celui qui représentait la maison de France et ses gloires, ils ne lui ont laissé sa couronne « que pour l’exposer, sans défense possible, à des avanies que le dernier de ses sujets n’eût pas supportées. » Leur devoir était de s’appliquer par leurs ménagemens, par leurs généreuses avances, à le réconcilier avec son sort. Mais ils n’ont pas su reconnaître « qu’en vertu des lois de l’histoire, un état, comme une conquête, se conserve par les moyens qui ont servi à le fonder, que la royauté qui avait fait la France était plus capable que personne de la conserver, qu’au surplus la monarchie héréditaire a de grands avantages, qu’elle résout par sa seule existence le plus difficile problème de la politique, l’organisation de l’exécutif. « Il est permis de le croire ; mais on peut douter aussi « que les simples égards dus à sa personne et à son rang eussent suffi pour avoir raison des méfiances de Louis XVI. » On nous dit « que la résignation était le fond de cette nature passive, qui ne fut grande que pour souffrir. » Ce roi très honnête avait par malheur le front et le cœur fuyans, et les êtres faibles et passifs sont précisément ceux dont on est le moins sûr ; on ne les tient jamais. Tiraillé en tous sens, ballotté entre des influences contraires, Louis XVI était condamné à chercher éternellement et en vain sa