Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vote de l’impôt, la sécularisation de la famille et de l’état. Elle a réussi dans tout cela. Pourquoi ? parce qu’elle n’était pas un commencement, mais un dénoûment. Elle continuait un travail de quatre siècles, elle a été le continuateur de l’histoire. Mais la constituante a échoué dans son œuvre politique, parce qu’elle avait méconnu, volontairement peut-être, les conditions essentielles de tout gouvernement. Elle avait superposé des pouvoirs élus, sans lien, sans dépendance entre eux ; c’était le modèle de l’anarchie. Aussi, quand deux ans plus tard, la Convention fut mise dans la nécessité de se défendre, elle substitua à cette constitution la plus formidable dictature que l’histoire ait jamais connue. »

Vers la fin du siècle dernier, on a vu pour la première fois une société nouvelle sortir des délibérations d’une assemblée, et cela suffit pour rendre cette époque à jamais mémorable. Les constituans ont réussi dans leur œuvre sociale. La fortune l’a bénie, tout a servi à la consolider, les événemens les plus imprévus, les mesures les plus révolutionnaires, les violences, les confiscations. On avait transformé la propriété féodale en propriété libre et aboli tous les droits personnels ; ils se seraient rétablis d’eux-mêmes si la noblesse et le clergé avaient continué à détenir la majeure partie du territoire français. Il fallait que l’occasion se présentât de multiplier les petits propriétaires et de les enrichir aux dépens des grands ; elle s’est offerte, on ne l’a pas manquée. Plus tard, quand un régime d’anarchie et de confusion fut remplacé par la dictature d’un homme de génie, cet homme, dégageant le droit nouveau de tout ce qui s’y était mêlé de douteux et d’utopique, le consacra définitivement. Le code auquel il donna son nom, et dont il faisait plus gloire, disait-il, que de toutes ses batailles gagnées, n’avait été que remanié, révisé par lui. Il avait débarbouillé l’enfant, mais c’était la révolution qui l’avait mis au monde.

Cette société nouvelle a ses défauts, ses misères ; on n’a jamais vu d’institutions parfaites. Mais quoi qu’on puisse lui reprocher, elle offre plus de garanties de justice et de bonheur que toute autre, sans compter qu’elle nous assure le plus précieux des droits, qui est celui de nous plaindre. Ceux qui la critiquent avec le plus d’amertume en font plus de cas qu’ils ne pensent ; ils ne pourraient vivre ailleurs, ni respirer un autre air. Le moindre des abus de l’ancien régime, si on le ressuscitait, suffirait à leur rendre la vie insupportable ; cette écharde enfoncée dans leur chair gâterait tous leurs plaisirs. Aussi cette société a-t-elle été, en fin de compte, acceptée de tous les partis. Les ultras de la restauration avaient juré de la détruire, la royauté légitime elle-même la défendit. L’édifice est debout depuis un siècle ; il a bravé plus d’un orage, et on n’y voit encore aucune lézarde.