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sa renommée, ait tourné ses regards vers l’île de Crète, c’est possible. Il est peu vraisemblable que le gouvernement anglais fût encouragé par son parlement à étendre la main sur une lie dont la possession lui créerait plus de difficultés que d’avantages. L’Angleterre est une grande puissance qui a quelques points fixes et ne se laisse pas entraîner facilement au-delà de la sphère de ses intérêts précis et pratiques. Elle a récemment augmenté ses forces navales dans des proportions presque colossales pour rester en mesure de prendre position dans les conflits qui peuvent s’élever en Europe. Elle ne paraît pas disposée à se compromettre pour une médiocre conquête ou à se lier d’avance. Elle vont à garder à tout événement la liberté de son action. Plus d’une fois depuis quelque temps, le ministère a été interrogé avec une certaine insistance sur la direction réelle de sa politique extérieure ; ces jours derniers encore, dans la chambre des communes, il a été pressé de s’expliquer sur la mesure de ses engagemens avec la triple alliance, particulièrement avec l’Italie, et le sous-secrétaire d’état, sir James Fergusson, a répondu une fois de plus que l’Angleterre n’avait aucun engagement, qu’elle restait maîtresse de conformer sa conduite à ses intérêts nationaux, aux circonstances. Sir James Fergusson ne s’est point, à vrai dire, beaucoup compromis. Il n’a dit que ce que tout le monde sait, que l’Angleterre n’a pas l’habitude d’entrer dans des engagemens permanens ; il n’a pas dit ce qu’il entendait par les intérêts anglais, dans quelles circonstances ces intérêts pourraient se trouver engagés. La chambre des communes ne s’est pas moins tenue pour satisfaite, comme si elle avait compris ; elle s’est probablement dit qu’après tout rien ne se ferait sans elle.

Le parlement anglais au surplus, avant de prendre ses vacances, a été occupé depuis quelques jours d’une bien autre affaire tout intérieure. Il ne s’agit pas même de l’Irlande, dont la ligue agraire vient de se transformer en une sorte de ligue légale pour la défense des fermiers. Il s’agit d’une de ces questions qui sont l’épreuve du vieux loyalisme britannique, de la dotation des enfans de la maison royale, à l’occasion du mariage de la fille du prince de Galles avec un grand seigneur anglais, lord Fife. Évidemment cela n’a pas marché tout seul. Les radicaux ont saisi l’occasion d’éplucher le budget de la reine, ses dépenses, ses économies depuis un demi-siècle. Le ministère a été obligé d’entrer en transaction pour éviter des difficultés qui auraient pu devenir pénibles. Il a été convenu d’abord qu’on accorderait un supplément de dotation de près d’un million au prince de Galles, à condition que le pays n’aurait point à subvenir à l’établissement de ses autres enfans ; mais la reine Victoria s’est révoltée contre cette restriction qui engageait l’avenir, et on a fini par s’en, tenir pour le moment à voter le supplément de dotation du prince de Galles. Le ministère a été, du reste, puissamment secondé par le vieux chef de l’opposition, M. Glad-