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luisant, montre l’ardeur fiévreuse d’une vie aspirant à l’épanouissement. Comme la fleur, la beauté est impersonnelle ; l’effort de l’individu n’y est pour rien. Elle naît, apparaît un moment, disparaît, comme un phénomène naturel. La nature tout entière est elle-même une grande fleur pleine d’harmonie. On n’y trouve pas une faute de dessin. — C’est nous, dit-on, qui y mettons cette eurythmie. — Comment se fait-il alors que l’homme gâte si souvent la nature ? Le monde est beau jusqu’à ce que l’homme y touche ; le ridicule, les gaucheries, le mauvais goût, les fausses couleurs, les crudités, les laideurs, les saletés, commencent avec l’apparition de l’homme dans ce paradis auparavant immaculé.

Chez l’animal, l’amour a été le principe de la beauté. C’est parce qu’à ce moment l’oiseau mâle fait un effort suprême pour plaire, que ses couleurs sont plus vives et ses formes mieux dessinées[1]. Chez l’homme, l’amour a été une école de gentillesse et de courtoisie, j’ajoute de religion et de morale. Une heure où l’être le plus méchant a un mouvement de tendresse, où l’être le plus borné a le sentiment d’une communion intime avec l’univers, est sûrement une heure divine. C’est parce qu’à ce moment-là l’homme entend la voix de la nature, qu’il y contracte de hauts devoirs, y prête des sermens sacrés, y goûte des joies suprêmes ou se prépare de cuisans remords. C’est, en tout cas, l’heure de sa vie passagère où l’homme est le meilleur. La sensation immense qu’il éprouve, quand il sort ainsi en quelque sorte de lui-même, montre qu’il touche véritablement l’infini. L’amour, entendu d’une manière élevée, est ainsi une chose religieuse, ou plutôt fait partie de la religion. Croirait-on que cet antique reste de parenté avec la nature, la frivolité et la sottise aient réussi à le faire envisager comme un reste honteux de l’animalité ? Est-il possible qu’une fin aussi sainte que celle de continuer l’espèce ait été attachée à un acte coupable ou ridicule ? On prête ainsi à l’Éternel une intention grotesque, une véritable drôlerie.

Le caractère sérieux de l’amour a été oblitéré par la légèreté. Le devoir est sûrement quelque chose de plus haut, puisqu’il n’est accompagné d’aucun plaisir et souvent entraine de durs sacrifices. Et pourtant l’homme y tient presque autant qu’à l’amour. L’homme est reconnaissant quand on lui donne des raisons de croire au dévouaient ; lui prouver le devoir, c’est lui retrouver ses titres de noblesse. On est mal venu à lui proposer de l’en délivrer. Le soin

  1. Les choses ont été renversées par l’humanité. Le vrai analogue de la beauté du mâle, c’est la pudeur de la femme. Un petit air de réserve, de timidité, de sujétion touchante, a fini par devenir pour l’homme quelque chose de plus attrayant que la beauté.