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de l’animal pour sa progéniture, une foule de faits qui nous montrent le besoin du sacrifice dans les consciences en apparence les plus égoïstes, prouvent que très peu d’êtres se soustraient tout à fait aux commandemens établis par la nature en vue de fins dont eux-mêmes se soucient fort peu. Le devoir et les instincts de nidification et de couvée chez l’oiseau ont la même origine providentielle. Même dans la vie la plus vulgaire, la part de ce que l’on fait pour Dieu est énorme. L’être le plus bas aime mieux être juste qu’injuste ; tous nous adorons, nous prions bien des fois par jour, sans le savoir.

Ces voix, tantôt douces, tantôt austères, d’où viennent-elles ? Elles viennent de l’univers, ou, si l’on veut, de Dieu. L’univers, avec qui nous sommes en rapport comme par un conduit ombilical, veut le dévoûment, le devoir, la vertu ; il emploie, pour arriver à ses fins, la religion, la poésie, l’amour, le plaisir, toutes les déceptions. Et ce que veut l’univers, il l’imposera toujours ; car il a pour appuyer ses volontés des ruses inouïes. Les raisonnemens les plus évidens des critiques ne feront rien pour démolir ces saintes illusions. Les femmes, en particulier, résisteront toujours ; nous pouvons dire ce que nous voudrons, elles ne nous croiront pas, et nous en sommes ravis. Ce qui est en nous sans nous et malgré nous, l’inconscient, en un mot, est la révélation par excellence. La religion, résumé des besoins moraux de l’homme, la vertu, la pudeur, le désintéressement, le sacrifice, sont la voix de l’univers. Tout se résume en un acte de foi à des instincts qui nous obsèdent, sans nous convaincre, en l’obéissance à un langage venant de l’infini, langage parfaitement clair en ce qu’il nous commande, obscur en ce qu’il promet. Nous voyons le charme ; nous le déjouons ; mais il ne sera jamais rompu pour cela. Quis posuit in visceribus hominis sapientiam ?

De cette résultante suprême de l’univers total, nous ne pouvons dire qu’une seule chose, c’est qu’elle est bonne. Car si elle n’était pas bonne, l’univers total, qui existe depuis l’éternité, se serait détruit. Supposons une maison de banque existant depuis l’éternité. Si cette maison avait le moindre défaut dans ses bases, elle eût mille fois fait faillite. Si le bilan du monde ne se soldait point par un boni au profit des actionnaires, il y a longtemps que le monde n’existerait plus. De l’immense balancement du bien et du mal sort un profit, un reliquat favorable. Ce surplus de bien est la raison d’être de l’univers et la raison de sa conservation. Pourquoi être, s’il n’y avait pas du profit à être ? Il est si facile de n’être pas. Je trouve superficielles les objections que quelques savans élèvent contre le finalisme, en faisant remarquer certaines imperfections