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nature disposait sur un point-donné. C’est le nisus agissant sur la totalité de l’univers qui sera peut-être un jour conscient, omniscient, omnipotent. Alors pourra se réaliser un degré de conscience dont rien maintenant ne peut nous donner une idée.

Au moyen âge, le plus haut résultat du monde, au moins de la planète Terre, était un chœur de religieux chantant des psaumes. La science de notre temps, répondant au désir qu’a le monde de se connaître, atteint des effets bien supérieurs. Le Collège de France est fort au-dessus de la plus parfaite abbaye de l’ordre de Citeaux. L’avenir amènera sans doute de bien plus beaux résultats encore. À l’infini, l’Être absolu, arrivé au comble de ses évolutions déifiques, et se connaissant parfaitement lui-même, réalisera peut-être ces beaux vers du mystique chrétien :


Illic secum habitans in penetralibus
Se rex ipse suo contuitu beat.


III

Les deux dogmes fondamentaux de la religion, Dieu et l’immortalité, restent ainsi rationnellement indémontrables ; mais on ne peut dire qu’ils soient frappés d’impossibilité absolue. Les touchans efforts de l’humanité pour sauver ces deux dogmes ne doivent pas être taxés de pure chimère. Une conscience générale de l’univers, une âme du monde, sont choses que l’expérience n’a jamais prouvées ; mais une molécule d’un de nos os ne se doute pas non plus de la conscience générale du corps dont elle fait partie, de ce qui constitue notre unité.

L’attitude la plus logique du penseur devant la religion est de faire comme si elle était vraie. Il faut agir comme si Dieu et l’âme existaient. La religion rentre ainsi dans le cas de ces nombreuses hypothèses telles que Luther, les fluides électriques, lumineux, caloriques, nerveux, l’atome lui-même, que nous savons bien n’être que des symboles, des moyens commodes pour expliquer les phénomènes, et que nous maintenons tout de même. Dieu créant le monde en vertu de profonds calculs est une formule bien grossière ; mais les choses se comportent à peu près comme si cela avait eu lieu. L’âme n’existe pas comme substance à part ; mais les choses se passent à peu près comme si elle existait. Rien n’a jamais été révélé à aucune famille humaine par des voix surnaturelles, et pourtant la révélation est une métaphore dont l’histoire religieuse a de la peine à se passer. Le paradis éternel promis à l’homme n’a