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les richesses du monde entier ; c’est assez de l’affamer en interceptant les paquebots qui suppléent par l’appoint de leurs chargemens de blé à l’insuffisance de ses récoltes.

Ces longues files de cargo-boats suivent des routes à peu près invariables et connues de tous les navigateurs : chacun de ces navires vient à son tour reconnaître certains caps, certains accidens hydrographiques qui jalonnent leur route et rectifient leur « estime ».

Il est donc aisé de les atteindre sur leur route préférée ou à l’atterrissage.

Je n’y contredis pas et je veux même qu’au début de la guerre nous réussissions à infliger des pertes sensibles au commerce anglais. La Grande-Bretagne restera-t-elle désarmée en face de ce danger ? Il serait puéril de s’en flatter.

Sa flotte de croiseurs est nombreuse et puissante : elle le sera plus encore dans quelques années. Dédaignant la capture de nos trop rares bâtimens de commerce, ces navires se consacreraient à la protection de leurs paquebots : la lutte s’établirait bientôt en haute mer entre croiseurs de types analogues, et peu à peu, quelle que fût la valeur des nôtres, le nombre finirait par l’emporter.

Admettons toutefois que deux ou trois croiseurs français, supérieurs à leurs adversaires en armement, en vitesse, en approvisionnement de combustible, puissent se maintenir au large et continuer leurs ravages sur le commerce anglais : enlèveront-ils à l’ennemi les convois de paquebots naviguant de conserve et pourvus d’une puissante escorte, où figureront sans doute les beaux croiseurs à ceinture cuirassée, Aurora, Orlando, Immortality, etc., que l’Angleterre semble construire justement en vue de ce service spécial ?

C’est ainsi qu’agissait déjà l’amirauté pendant les grandes guerres maritimes du siècle dernier, et les judicieuses mesures qu’elle prenait alors pour couvrir avec ses escadres la navigation de ses flottes marchandes lui réussiraient encore aujourd’hui. Ces flottes marchandes se formaient dans les ports de commerce de la Grande-Bretagne en même temps que l’on armait, dans ses arsenaux, les escadres destinées aux opérations dans la Méditerranée, aux Antilles, aux Indes, ou les divisions chargées de renforcer ces armées navales. On utilisait ainsi tous les départs de forces constituées en vue des opérations exclusivement militaires, pour faire franchir aux navires marchands les zones réputées les plus dangereuses, celles de l’Atlantique nord, par exemple ; la séparation se faisait assez loin dans le Sud, quelquefois vers le tropique, et les bâtimens de guerre reprenaient leur route normale. D’ailleurs on ne laissait pas d’armer, quand il le fallait, des divisions spéciales, uniquement chargées de défendre le convoi jusqu’à sa destination ; ces