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suivi d’assez loin l’armée anglaise, put profiter d’une saute de vent pour se rapprocher de l’ennemi : l’occasion était précieuse… don Luis de Cordova allait-il l’utiliser pour écraser l’armée principale de l’ennemi, et les flots du cap Trafalgar, que l’on voyait encore à l’horizon, allaient-ils engloutir des vaisseaux anglais ?

On put le croire un moment : la division légère de l’armée combinée, sous les ordres de l’intrépide Lamotte-Piquet, laissa rapidement porter sur l’ennemi et engagea l’action avec la dernière vigueur ; déjà lord Howe, contraint d’accepter le combat et de former sa ligne, appelait de ses vœux la nuit, dont les ombres commençaient à s’étendre sur le champ de bataille… A deux milles, couvert de toile, s’avançait le gros de l’escadre française ; plus loin se détachaient sur le ciel les mâtures des lourds vaisseaux espagnols ; ils étaient loin sans doute, mais les nôtres, brûlant du désir de combattre, suffisaient pour arrêter l’ennemi et pour soutenir le premier effort de la lutte. Un signal monta au grand mât du vaisseau amiral espagnol : c’était le « ralliement général et absolu. » Don Luis de Cordova trouvait son armée navale mal engagée et craignait, malgré la supériorité de ses forces, de la compromettre dans un combat de nuit.

Notre vaillante avant-garde abandonna l’ennemi, qui se garda de la poursuivre, et le lendemain l’amiral espagnol reprenait, autour de Gibraltar, un blocus désormais inutile.

Au risque de nous attarder sur le terrain de la tactique, nous citerons encore, pour prouver que nos chefs d’escadre ont su, eux aussi, se dévouer pour le salut des convois confiés à leur garde, le beau combat du 14 octobre 1747. M. de l’Étanduère avait été chargé de convoyer, avec 8 vaisseaux, 250 voiliers qui se rendaient dans la mer des Antilles : dans les parages du cap Finisterre 14 vaisseaux anglais, sous les ordres de l’amiral Hawke, se montrèrent sous le vent de la flotte française. Pour permettre à cette lourde masse, que la brise et la mer poussaient sur l’ennemi, de serrer le vent et de s’échapper, M. de l’Étanduère se hâta de se rapprocher de l’escadre anglaise, et l’on vit ces huit vaisseaux présenter audacieusement leur ligne bien serrée aux coups d’un ennemi si supérieur en nombre. Au bout de quatre heures de lutte un seul de nos vaisseaux avait succombé ; Hawke, un moment déconcerté par une telle résistance, revient à la charge, et cette fois, les trois vaisseaux qui formaient la queue de la ligne, entourés de tous côtés, rasés, ruinés, ruisselans de sang, cèdent aux coups de l’ennemi : la nuit est venue. Le Tonnant, que monte M. de l’Etanduère, l’Intrépide sous Vaudreuil, le Terrible et le Trident combattent encore, assurés de périr, mais certains désormais d’avoir sauvé le convoi, car l’amiral Hawke n’a pu distraire du combat aucun de