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avec le reste, une image devant laquelle on se prosterne ; on lui adresse des prières et on lui dit : « Sauve-moi, tu es mon dieu. » Ils ne savent pas ce qu’ils font, car leur esprit est aveuglé pour qu’ils ne voient point, et leur intelligence est bouchée pour qu’ils n’entendent point. Et leur pensée ne leur rappelle rien, et leur esprit ne les avertit pas. Ils ne se disent pas : J’ai fait du feu avec un morceau de ce bois, j’en ai cuit du pain ; j’en ai rôti de la viande, que j’ai mangée, et, avec le reste, vais-je faire une abomination ? vais-je adorer un morceau de bois (44-14) ? » Voir aussi 40-19 et 46-1 et 6. On sent que l’idolâtrie est bien définitivement détruite en Judée, en attendant que l’esprit juif, poursuivant son œuvre, arrive à la détruire dans le monde entier[1].

Et c’est ici enfin que se rencontre pour la première fois cette grande parole : « Je suis le premier et le dernier (44-6) »[2], c’est-à-dire celui qui existe avant toutes choses et après toutes choses, formule métaphysique toute nouvelle, née sans doute de quelque infiltration de la philosophie des Grecs.

Je n’ai pas encore parlé de l’homme que Jéhova a chargé de l’exécution de ses desseins, et auquel le prophète va s’arrêter tout à l’heure, mais qui était déjà indiqué par un verset presque à l’ouverture du livre (41-2) : « Qui est-ce qui a fait lever de l’Orient celui dont la justice accompagne les pas ; qui a amené à lui les peuples et a mis les rois en sa puissance, de manière qu’ils n’ont été qu’une poussière devant son épée, qu’une paille devant ses flèches ? Il les a poursuivis en passant en paix parmi chemin où il n’a pas posé ses pieds. » Et un peu plus loin (41-25) : « Je l’ai appelé du Nord, c’est de l’Orient qu’il a invoqué mon nom ; il foule aux pieds les puissans comme la boue des rues, comme le potier pétrit l’argile. »

Si on croit que le livre est du temps d’Hérode, c’est à Hérode qu’on rapportera ces paroles, qui lui conviennent très bien en effet. On voit dans Josèphe qu’Hérode, étant chassé de Jérusalem par Antigone, aidé des Part lies, eut l’idée hardie d’abandonner pour un temps la Judée et d’aller chercher aide et vengeance à Rome, près d’Antoine, qui le fit déclarer roi de Judée par le sénat et le mit ainsi sous la protection des armes romaines (Antiq., XIV, 14-2-5). Revenu de Rome en Asie, il apprend qu’Antoine est occupé au siège de Saniosate et entouré de barbares ; il se hâte de le rejoindre, en lui amenant des troupes juives qui se trouvent venir en ce moment très à propos, et achève ainsi de se l’attacher. Et c’est

  1. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, d’examiner si cette espèce d’argumentation était bien solide, philosophiquement parlant. Il suffirait, pour qu’on pût s’en servir, que Jéhova n’eût pas d’image.
  2. L’alpha et l’oméga, dans l’Apocalypse, 22, 13.