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et qu’il n’y eût pas de mensonge dans sa bouche. Pourtant Jéhova a voulu le briser, il lui a porté un coup mortel. Mais après que sa vie aura été prise en expiation, il verra sa postérité, il aura de longs jours, et la volonté de Jéhova s’accomplira par ses mains. Au sortir de ses épreuves, il verra la satisfaction ; par sa sagesse, ce juste, mon serviteur, fait aimer à beaucoup la justice, et il prend sur lui leurs péchés. Aussi je lui donne un lot parmi les puissans, et il partage le butin des forts, parce qu’il a abandonné sa vie à la mort, qu’il a été confondu avec les méchans, qu’il a pris sur lui le péché du grand nombre, et qu’il a répondu pour les pécheurs (52-13, 53-12). »

Il y a plus d’un détail obscur dans cette page, mais le sens général n’en est pas douteux. C’est l’histoire d’Israël sous la figure du serviteur de Jéhova. L’Israël d’aujourd’hui a souffert pour les péchés de l’Israël d’autrefois ; mais ces péchés, il les a rachetés, et il n’a plus à attendre qu’un avenir prospère. Il ne faut pas entendre, comme on l’a fait quelquefois, qu’il s’est chargé des péchés des autres peuples, des Nations : c’est là une idée absolument étrangère au judaïsme. Dans ce texte, Israël est dédoublé, comme si on disait dans un temps calamiteux pour notre pays, que les Français souffrent pour les péchés de la France ; ou, si on veut une distinction plus marquée, les fidèles, les bons souffrent pour les fautes des méchans et les expient. On a pu remarquer un pluriel que j’ai souligné et qui montre assez que ce serviteur de Jéhova, c’est tout un peuple.

Tout cela ne convient qu’au temps que j’ai cru reconnaître dans l’ensemble de ce livre, et il faut surtout, au dernier verset, signaler cette phrase : « Il partage le butin des forts. » C’est-seulement à cette date que les juifs ont partagé le butin des puissances, lorsque, après Actium, Octave a donné libéralement à Hérode des villes et des territoires détachés de la Syrie, qu’Antoine avait donnés à Cléopâtre et qui furent la part des juifs dans les dépouilles de l’Egyptienne.

Mais ce qui ne s’était pas vu non plus avant cette époque, c’est l’état d’anéantissement où était la Judée au. moment où cette prospérité l’a surprise ; c’est le portrait du juif méprisé, impuissant, muet sous l’outrage, mort en quelque sorte, et enterré parmi les impies, c’est-à-dire réduit à se perdre chez les Égyptiens et les Syriens.

On lisait déjà en un autre endroit (50-6) : « J’ai abandonné mon dos aux coups et ma barbe à ceux qui la tirent ; je n’ai pas dérobé mon visage aux insultes ni aux crachats. Mais le seigneur Jéhova m’assiste, c’est pourquoi je n’ai pas honte ; j’ai fait de ma face un caillou, sachant que je ne serais pas avili. »