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courtisans, leurs affranchis, délateurs et spadassins parlementaires. Chaque député cherchait anxieusement à lire sur leurs visages « s’ils apportaient un décret de proscription ou la nouvelle d’une victoire. » On avait peur, dit un régicide. « On observait ses démarches, ses gestes, son silence même. La foule affluait sur la montagne. Le côté droit était désert, le centre rempli et silencieux. Il y avait des timides qui erraient de place en place, d’autres qui, n’osant en occuper aucune, s’esquivaient au moment du vote. » C’étaient les séances solennelles ; habituellement, la salle demeurait presque vide. Le 5 avril, Amar avait été élu président par 161 voix sur 206 votans ; le 26 mai, Prieur de la Côte-d’Or le fut par 94 voix, sur 117 présens.

Robespierre reçut toutes les adulations que la bassesse peut suggérer. Elles ne parurent jamais le rassasier, parce que jamais il n’y en eut assez pour apaiser ses soupçons. Si grande que fût la lâcheté de ses collègues devant lui, la peur qu’il avait d’eux la dépassait encore, fit cependant, il vint un jour où celle peur, son inspiratrice vigilante et sa conseillère infaillible jusqu’alors, se laissa surprendre par l’excès de la flatterie et de la servilité. Cet inquisiteur austère, toujours en scrupule sur lui-même et sobre de gloire, se laissa tenter, se débaucha pour ainsi dire et éprouva comme un étourdissement de vanité. La Convention avait, sur son désir, décrété qu’une fête solennelle serait célébrée le 20 prairial, — 8 juin, — en l’honneur de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme. Le président de l’assemblée devait y paraître dans l’appareil de grand pontife. Le 4 juin, Robespierre se porta candidat à la présidence. La Convention donna dans son plein. Les bureaux et les couloirs se vidèrent. Tous les députés qui se trouvaient à Paris vinrent confesser leur foi. Il y eut 485 votans, chiffre qui n’avait pas été atteint depuis la condamnation de Louis XVI, et Robespierre fut élu par 485 voix, chiffre qu’aucun président n’avait encore obtenu. S’il avait été le profond politique que l’on supposait, il se serait fait, dans ce triomphe, plus humble encore, se prosternant devant l’Être suprême, qui avait tout ordonné, et se perdant dans la foule du peuple souverain, image humaine de ce Dieu et instrument de sa providence. Mais il ne sut point se garder du vertige.

Le 8 juin, le ciel était radieux. Une foule parée, empressée, joyeuse, encombrait les places où devait passer le cortège. Pour la masse du peuple, c’était une journée déplaisir ; pour tous ceux que la Terreur menaçait, une journée de répit. Paris, mis au régime de Sparte, se retrouvait soi-même et se montrait heureux, ne fût-ce que de vivre. Une estrade avait été dressée pour les conventionnels, devant les Tuileries. Robespierre, en habit bleu, poudré,