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l’impossibilité où il était de finir la Terreur. Il ne pouvait s’arrêter, parce que, s’arrêtant, il avait à redouter la vengeance de ceux qu’il avait épouvantés. Quant à jouer le grand jeu, à la Sylla, et à soutenir par la modération une dictature ; captée par la violence, il en était incapable. Danton, qui était l’audace même de la révolution, l’avait rêvé et n’en avait pas trouvé l’occasion ; Robespierre, qui en avait l’occasion, n’en possédait pas l’audace. Le fait est qu’à partir du vote de la loi de prairial les exécutions redoublèrent. La seule maxime d’État qui ressorte du galimatias sinistre des harangues de ce temps est cette phrase de Barère : « Que les ennemis périssent, il n’y a que les morts qui ne reviennent pas. »

C’est pourquoi Barère et ses complices ne voulaient pas mourir. Leur tour approchait. La délation montait autour d’eux, et en eux-mêmes l’angoisse de l’échafaud. Ils éprouvaient ces affres de la guillotine dont ils avaient tourmenté leurs ennemis. Ils connaissaient les insomnies effarées, les tremblemens, la nuit, au moindre bruit de pas dans la rue, et, le lendemain, devant le maître, cette anxiété, la plus étouffante de toutes, de paraître avoir eu peur. Ils n’avaient ni l’enthousiasme sombre des girondins, ni le fatalisme de Danton, ni cette exaltation qui grandit leur propre chute aux yeux de tant de victimes et leur fit considérer dans la catastrophe de leur existence la nécessité d’une destinée supérieure qu’ils accomplissaient. Barère et ses complices avaient horreur de mourir, trouvant la vie bonne et ne se souciant de rien hors de la jouissance de vivre. Voilà tout le fond du complot qui se forma sourdement contre Robespierre dans le mois de messidor. Chacun de ceux qui se sentaient menacés par lui souhaitait qu’il périt, espérant que d’autres le tueraient et n’osant point encore travailler directement à sa perte. Puis, personne ne paraissant y travailler, la peur les harcela tellement qu’elle leur fil une sorte de courage. Quelques-uns, les plus compromis, s’abordèrent au passage, insinuant des allusions. Ils se devinèrent plutôt qu’ils ne se firent comprendre, et la trame se noua peu à peu dans l’obscurité et dans les tâlonnemens.


V

Les premiers nœuds se firent dans le comité même de salut public, entre Barère, Collot et Billaud-Varennes ; ces terroristes ne se trouvaient de sauvegarde ni dans leurs talens, ni dans leur vertu, ni dans leur devoûment, auquel ils croyaient encore moins qu’à tout le reste. La vanité, chez eux, aiguillonnait la peur. Ils étaient las d’entendre célébrer le génie de Robespierre ; ils l’avaient