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à cheval, dans les rues, appelant le peuple aux armes. Vers cinq heures, une troupe, qu’on évalue à plus d’un millier d’hommes, se rassemble, sur la place de l’Hôtel de ville, avec quarante canons. Les comités de salut public et de sûreté générale, prévenus de ces mouvemens, interdisent de battre le rappel et font défendre aux chefs de légion d’obéir aux ordres d’Hanriot. Celui-ci courait encore lus rues, suivi d’un seul aide de camp. Six gendarmes le rencontrent, le prennent, le garrottent et l’amènent au comité de sûreté générale. La commune s’est réunie. Elle lance une proclamation : « Peuple, lève-toi ! ne perdons pas le fruit du 10 août et du 31 mai ! » Elle apprend l’arrestation d’Hanriot et charge Coffinhal de le délivrer. Les sectionnaires armés sont plus nombreux. Coffinhal les emmène, suivi des canonniers et de vingt pièces. Il marche sur les Tuileries, occupe la place du Carrousel, fait braquer les canons sur la salle des séances et monte lui-même au comité de sûreté générale. Il y trouve Hanriot, le délivre et le présente aux canonniers qui l’acclament.

Personne ne gardait la Convention. La plupart des députés s’étaient dispersés. Ceux qui étaient restés suivent avec épouvante les progrès de l’insurrection. Ils se croient perdus, Hanriot, en effet, peut les prendre d’un coup. Il y songe ; mais ses canonniers, le noyau de sa troupe, voyant leur chef libre, ne comprennent plus pourquoi ils devraient se battre. Le mystère de ce palais, où siège le souverain, les intimide malgré eux. Tel est l’esprit de ces temps où les paroles ont suscité tant de prodiges et suggéré tant de crimes. Les grandes images républicaines gardaient encore, dans les imaginations populaires, toute leur puissance. Les mêmes hommes qui auraient pris ou tué, sans scrupule, chaque conventionnel individuellement, dénoncé comme traître à la patrie et proscrit par la loi, hésitent et s’arrêtent devant la majesté de cette loi même, de l’assemblée qui la fait, de cette république pour laquelle tout s’accomplit. Le 2 juin, ils ont réduit la Convention à capituler, mais ils l’ont fait pour obtenir le décret de proscription des girondins. Comme la foule qui avait ramené Louis XVI à Paris en octobre 1789 et en juin 1791, ces révolutionnaires faisaient acte de foi au souverain en le violentant. C’est le secret du 2 juin ; c’est aussi le secret du 9 thermidor, Hanriot vit ses hommes indécis. Il alla chercher des ordres où il pouvait en recevoir, et fit faire volte-face à sa troupe, vers l’Hôtel de ville. Les députés, en rentrant, vers sept heures, dans la salle des séances, apprirent le péril auquel la Convention venait d’échapper. Ce péril n’était que différé.

Robespierre avait été conduit à la prison du Luxembourg. Le geôlier refusa de le recevoir sans un ordre de la commune. Dirigeant ses gardiens qui semblaient lui faire escorte, Robespierre se