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toujours la commune du moyen âge, moins austère que Florence, plus familière, moins pénétrée par la vie moderne. Les habitans y parlent, avec une bonne humeur constante, l’italien le plus pur de toute la péninsule. Certaines parties de Sienne, la place communale, qui forme un demi-amphithéâtre disposé pour les courses de chevaux, la cathédrale et ses alentours ont gardé leur physionomie archaïque ; on découvre çà et là de petits carrefours ou des recoins tout à fait solitaires, comme dans les villes d’Orient ; l’église de Saint-Dominique, qui conserve les fresques fameuses du Sodoma, s’élève à l’extrémité d’une terrasse verdoyante où picorent les poules du voisinage, où les ânes s’ébattent au chaud soleil et d’où l’on contemple, comme d’une acropole, pareilles à des vagues pressées les unes contre les autres, les cimes bleues des collines qui ondulent sur la région étrusque, jusqu’à Pérouse et Orvieto, Volterra et Florence.

Il y a une âme dans le corps charmant de la vieille ville, une mémoire partout présente qui ramène sans cesse les vivans vers des temps très lointains, une vision angélique qui flotte partout dans l’air si doux de Sienne. Sainte Catherine y est toujours reine. Toutes les églises ont quelque rayon de son auréole ; la Libreria du dôme est toute parée des peintures du Pinturicchio, fraîches et fleuries comme au premier jour, et qui représentent, parmi les œuvres de la vie du pape siennois Pie II, la béatification de la nonne dominicaine. Les petits enfans savent tous à merveille en quelle étroite et montante ruelle se cachent la maison et l’oratoire de « la sainte dame » et, pour trois sous, y conduisent allégrement l’étranger. Ses petits miracles sont populaires, surtout ceux où le diable se montre ridicule, selon la tradition italienne, et s’enfuit tout déconfit, avec la poêle à frire, pleine de vrai feu infernal, dont il avait voulu la tourmenter. Si Jacques de Voragine avait écrit cent ans plus tard, il eût consacré à Catherine, dans sa Légende dorée, une jolie chapelle, près des sept dormans d’Éphèse ou de l’aimable sainte Claire. Mais l’évêque de Gênes, tout occupé de vie surnaturelle et de prodiges, ne démêlait point très clairement la part que les saints avaient eue dans les affaires temporelles de notre pauvre monde. Or c’est par la politique et la diplomatie que sainte Catherine a été grande dans l’histoire de l’Italie et dans celle de l’Église.

La vie de cette femme a été l’une des pages les plus saisissantes de l’histoire de la papauté. C’est par son génie, en effet, par sa douceur obstinée qu’a été résolue, au XIVe siècle, au temps le plus douloureux du moyen, âge italien, l’éternelle question romaine. Et ceci est encore un miracle, le plus surprenant qu’ait accompli sainte Catherine. Dans la tentative où avaient échoué lamentablement les