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parut saint Dominique dans sa robe blanche, tenant son blanc bouquet de lis, elle tendit vers lui les bras, et le terrible moine vint à elle tout souriant et jeta sur les épaules de l’enfant le manteau noir des mantellate, les sœurs hospitalières de la Pénitence affiliées aux prêcheurs. Mais la famille de Catherine, qui ne rêvait que de noces célébrées sous le toit des Benincasa, résistait toujours à son vœu. La petite vérole lui fit une visite heureuse et mit fin à cette lutte domestique. « Je mourrai sûrement, dit-elle à sa mère, si je ne deviens l’épouse du Seigneur dans la maison où vous savez qu’il m’attend. » Mais les dominicaines refusèrent d’accueillir la jeune enthousiaste. Elles formaient une sorte de tiers-ordre ou de béguinage, d’obédience très large, et n’acceptaient que des veuves ou des dames mûres, éprouvées par les orages de la vie, qui aspiraient à la paix du port et ne se risqueraient plus aux aventures de la haute mer. Prendre une fille de quinze ans, d’imagination ardente, semblait aux bonnes mantellate une nouveauté périlleuse. Par bonheur, Catherine avait perdu sa beauté. Il ne lui restait plus qu’une grâce mélancolique, cette morbidezza chère à la peinture italienne, que l’on retrouve bien dans les fresques où le Sodoma l’a représentée. Son confesseur Raimondo dit, en mauvais latin, avec une ombre d’inconscient regret : « La nature ne lui avait pas donné une figure trop séduisante, Speciositas naturaliter in ea non inerat excessive. » La confrérie se laissa enfin toucher par tant de larmes et de piété. Un dimanche de l’an 1362, dans le couvent illustré par le séjour de saint Thomas d’Aquin, Catherine reçut l’habit des filles de Saint-Dominique. Dès le premier jour, elle se fixa une discipline personnelle très rigide, ne sortant que pour aller à la messe, n’ouvrant la bouche qu’au tribunal de la pénitence. Mais déjà la conscience d’une haute mission à remplir s’éveillait en elle ; les cris de détresse de l’Italie et de l’église arrivaient jusqu’à sa cellule ; elle écrivait, ou plutôt dictait, — elle ne sut écrire qu’à l’âge de trente ans, — ces paroles destinées à sa mère : « Dieu m’a élue et mise sur la terre pour porter remède à un grand scandale. »

Elle commença par un scandale de médiocre importance. Sous ses yeux, dans les conseils de la commune comme dans la rue, les citoyens de Sienne se dévoraient. C’était, sur un théâtre plus petit, la même anarchie qu’à Florence. « Ta prévoyance est bien subtile, disait jadis Dante à sa ville, et pourtant ce que tu as filé en octobre ne dure pas jusqu’à la mi-novembre. » A Sienne, les constitutions passaient plus vite que les saisons, elles naissaient et mouraient selon les vicissitudes de la guerre civile entre gibelins et guelfes d’une part, nobles, bourgeois et petit peuple de l’autre. En 1368, il se trouva que la seigneurie fut attribuée à quinze