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dénonce, par exemple la tendresse trop enfantine de Grégoire pour son père et sa mère. Dans le procès de canonisation présidé par Pie II, l’église italienne a mis amoureusement en lumière la finesse diplomatique de Catherine. « Elle lisait dans les consciences, avait dit son disciple Stefano Magoni ; elle connaissait la disposition des esprits comme font les autres personnes pour les airs du visage ; elle découvrait les pensées secrètes de ceux qui la visitaient. » « Il y a plus grand péril à se tenir près de vous en voulant cacher ses sentimens, écrivait le même Stefano, qu’à naviguer en pleine mer, car vous voyez tous nos secrets. »

Le style de sainte Catherine désorienta peut-être un pape juriste, qui ne retrouvait point en ses lettres la dialectique serrée et l’exégèse continue de l’Université de Paris et de l’église de France ; mais les entreprises que la jeune femme proposait à Grégoire, en ces premières semaines de 1376, l’auront déconcerté bien davantage. Je laisse de côté la croisade contre les Turcs ; on y pouvait penser, et l’on en parlera longtemps encore d’une façon toute platonique. Rentrer à Rome à la faveur d’un débarquement heureux sur le littoral des Maremmes n’était peut-être qu’une aventure chanceuse à courir. Mais reprendre en vrai maître le gouvernement du domaine pontifical, si restreint qu’il fût alors, et, à la même heure, commencer, en vrai pasteur, la réforme de l’église, des cardinaux et des prélats italiens en première ligne, le problème était réellement presque insoluble. Certes, l’idée de réformation religieuse était ancienne ; au XIe siècle, Grégoire VII et Pierre Damien en avaient fait leur plus belle espérance ; tous les dissidens de l’église italienne, les patares de Milan, les arnaldistes, les joachimites, les fraticelles, les ermites, l’avaient embrassée avec passion. Mais ce que les conditions historiques d’un temps de violences avaient empêché Grégoire VII d’accomplir, Grégoire XI aurait-il pu seulement le tenter ? Le pape, tout en purifiant l’église, c’est-à-dire en ramenant à l’évangile le corps ecclésiastique, se voyait contraint, par la restauration nécessaire de sa puissance terrestre, de contredire une fois de plus à la parole évangélique : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » La domination temporelle avait corrompu l’église ; mais l’église avait été obligée, pour durer à travers les désordres du moyen âge, d’asseoir sur la domination très précaire des papes au centre de l’Italie sa primauté religieuse. Elle avait dû entrer dans le concert politique de l’Occident, afin de demeurer maîtresse de la chrétienté ; prendre sa place dans l’ordre féodal, afin de n’être point annihilée par la féodalité romaine ; faire de Rome sa commune, à l’époque communale ; opposer la triple couronne du pontife à la couronne fermée de l’empereur. Une lutte âpre, fatale, pour garder ou ressaisir un