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conscience, je suis tenu de conserver et de récupérer le bien de la sainte église. Hélas ! je le confesse, cela est vrai ; mais il me semble qu’il faut garder encore mieux la chose la plus chère. Le trésor de l’église est le sang du Christ versé pour les âmes, et qui n’est point pour acheter la richesse temporelle, mais le salut de l’humanité. Soit, vous êtes tenu de conquérir et de garder le trésor et la seigneurie des villes que l’église a perdues. Mais vous êtes tenu bien plus de retrouver tant de brebis, qui sont aussi le trésor de l’église ; et, quand elle les perd, elle s’appauvrit trop. Il vaut donc mieux perdre l’or des choses temporelles que l’or des spirituelles : faites donc ce qu’il est possible de faire, et alors vous serez excusé devant Dieu et le monde ; vous frapperez les hommes du bâton de la bonté, de l’amour et de la paix bien mieux que du bâton de la guerre et vous reprendrez votre bien au spirituel et au temporel. Mon âme s’est enfermée toute seule entre elle et Dieu, avec une grande soif de votre salut, de la reformation de la sainte église et du bien du monde entier, et je ne crois pas que Dieu m’ait laissé voir d’autre remède que celui de la paix. Paix ! paix donc pour l’amour de Jésus-Christ crucifié ! » Et, dans la quatrième lettre, elle disait encore : « mon très saint et doux grand-père, pour retrouver vos brebis qui ont quitté en rebelles le bercail de la sainte église, je ne vois d’autre moyen que la paix. »

L’Italie pacifiée ; Rome, capitale apostolique de l’Occident, mais capitale sans royaume, gouvernée par son évêque ; le pape, maître incontesté de ses basiliques, du Capitole, des ruines les plus nobles du monde et d’un désert mélancolique allant jusqu’à la Sabine et jusqu’à la mer, telle était, dans les premiers mois de 1376, la pensée de sainte Catherine. Florence se chargea de dissiper cette chimère généreuse. Elle répondit aux ouvertures pacifiques de Grégoire par le soulèvement de Bologne, qui, avec l’aide d’une troupe florentine, chassa, le 19 mars, son cardinal-légat en criant à son tour : « Mort à l’église ! » Grégoire, entraîné par les cardinaux français, riposta par un coup de foudre contre Florence, le plus terrible qu’un pape ait jamais lancé. Il excommunia la ville, fit fermer les églises, mit hors la loi chrétienne la personne et les biens de tous les Florentins ; il permit à quiconque rencontrerait un Florentin de le piller et de le prendre comme esclave, ut capientium fiant servi. Florence, dont les comptoirs, les marchandises et les florins étaient répandus des rivages de la Mer-Noire et de la Syrie jusqu’au fond de l’Angleterre, chancela sous les verges pontificales. Le pontife d’Avignon, ne pouvant l’atteindre au centre de la péninsule, la ruinait dans le reste du monde. Déjà il chassait les Florentins du Comtat Venaissin. Le parti de la guerre, représenté par les Huit, laissa la seigneurie des prieurs dépêcher à Sienne