Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

justice et les milices communales, dont les chefs étaient tenu de lui prêter serment. Après avoir célébré tristement à Corneto la solennité de Noël, Grégoire dut s’embarquer encore sur sa galère provençale le 13 janvier 1377 : car Viterbe et Civita-Vecchia révoltées lui fermaient la route de terre. Le lendemain, il abordait à Ostie, la région désolée de l’embouchure du Tibre. Vers le soir, parurent les députations de Rome qui portaient le traité ; à la nuit, il y eut des danses à la lueur des flambeaux. Le jour suivant, le pape remonta le Tibre sur sa galère : le peuple accourut avec des lumières pour voir glisser dans les ténèbres, sous la basilique de Saint-Paul, ce fantôme des anciens jours, la barque apostolique. On jeta l’ancre au milieu du fleuve, et, au lever du soleil, Grégoire débarqua en présence de la foule. Le cortège se mit en marche ; en tête, allaient des bateleurs vêtus de blanc, qui sautaient et frappaient des mains puis 2,000 hommes d’armes sous les ordres de Raymond de Turenne. Sainte Catherine avait cependant recommandé d’éviter tout appareil militaire : « Tenez seulement la croix à la main, » écrivait-elle quelques jours auparavant. Les magistrats à cheval, les milices de la commune et les arbalétriers entouraient le pontife porté par un palefroi richement harnaché, sous un baldaquin de pourpre, dont le sénateur et les nobles tenaient les bâtons. On suivit, entre le Tibre et l’Aventin, le solennel désert de Rome ; devant la porte et les tours crénelées de Saint-Paul étaient rangés le clergé et les moines : c’est là qu’on remit au pape les clés de la ville. La foule couvrait jusqu’aux toits des maisons, les femmes pleuraient de joie, une pluie de fleurs tombait sur le passage du saint-père vers le soir seulement, le cortège parvint à Saint-Pierre, où brûlaient 18,000 lampes, et Grégoire XI se jeta épuisé et les bras ouverts sur le tombeau des grands apôtres, pères du christianisme et de l’Église.

Catherine ne vit pas ce triomphe préparé par elle à la papauté. Elle était rentrée modestement dans sa pauvre maison de Sienne, croyant sa mission terminée. Un événement atroce vint la tirer de sa quiétude ; le malentendu entre le saint-siège et l’Italie se compliquait d’une tragédie imprévue. La ville de Cesena s’était révoltée, le 1er février, contre sa garnison de Bretons et en avait massacré 300 ; le légat fit venir la garnison mercenaire de Faenza et lui ordonna de châtier les rebelles ; 8,000 habitans purent s’enfuir à travers champs, environ A, 000 furent égorgés dans les rues ou dans leurs maisons. La péninsule poussa un cri d’effroi et Florence invoqua la pitié des princes de la chrétienté. Rome, dont l’enthousiasme s’était bientôt refroidi, se redressait déjà avec un geste de menace. Le traité conclu avec le pape demeurait lettre morte les nobles et le Capitole démagogique conspiraient à la fois.