Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’effet des trompettes de Jéricho. Je n’ai jamais douté des forces de la France, unie, avec son enthousiasme naturel, échauffé par l’ardeur de la liberté naissante, mais j’ai toujours craint qu’elle manque de cette réflexion froide qui semble nécessaire à la consolidation d’un gouvernement libre. » Cette constitution, qui avait été présentée, au genre humain comme un monument de la sagesse humaine, il la voit déjà méprisée et regardée comme un tissu d’absurdités. « J’aime, dit-il à Pinkney le 3 décembre 1792, ce peuple inconstant. Je lui suis reconnaissant des efforts qu’il a faits dans notre cause. » Mais il n’a pas confiance dans l’avenir, son cœur est plein de sinistres pressentimens ; il assiste avec douleur au procès du roi. Il écrit à Jefferson : « A toute personne moins familière que vous avec l’histoire des affaires humaines, il pourrait sembler étrange que le plus doux monarque qui se soit jamais assis sur le trône de France, qui en a été renversé précisément parce qu’il ne voulait pas adopter les mesures de rigueur de ses prédécesseurs, un homme que personne ne pourrait accuser d’un acte criminel, soit persécuté comme l’un des plus odieux tyrans qui aient jamais déshonoré les annales de l’histoire, que lui, Louis XVI, soit menacé de la peine capitale. Et pourtant, c’est un fait et je crois qu’il mourra. »

Il ne disait que trop vrai.

Sa famille commençait à s’inquiéter pour lui et le conjurait de quitter Paris. Il y restait pourtant, aimant mieux que ses amis fussent effrayés de l’y voir, que d’être accusé par ses ennemis d’en être sorti au moment du danger. Sa nature vive, exubérante, avait un ressort merveilleux. L’émotion ne prend jamais, chez lui, le ton du complet découragement : sa douleur a l’accent sobre et contenu : « Le 21 janvier, à dix heures du matin, Louis de Bourbon, seizième du nom, né à Versailles le 23 août 1754, nommé dauphin le 20 décembre 1763, roi de France et de Navarre le 10 juin 1774, sacré et couronné à Reims le 11 juin 1776, a été guillotiné sur la place de la Révolution. »

Il raconte à Jefferson, dans les termes les plus simples, les détails de l’exécution. Quel effet va-t-elle faire sur l’Angleterre ? il voit la guerre entre la France et l’Angleterre inévitable : « Je crois que les Anglais vont être, montés à un degré d’horreur enthousiaste contre la France, dont leur tempérament froid et pondéré semble à peine capable. » La guerre, en effet, fut déclarée peu après, et Morris analyse dans ses lettres toutes les conséquences de l’événement. Pour lui-même, que va-t-il faire ? « La vie à Paris n’est plus semée de roses, vous l’imaginez bien ; elle est, en fait, devenue un supplice. J’ai donné mes raisons pour rester ici, mais maintenant la scène est entièrement changée. » L’avenir lui semble