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de délivrance dans le récit de son voyage, en poste à travers la France par Pont-sur-Yonne, Dijon, Mont-sous-Vaudrey et les Rousses, bien qu’à tout moment on l’arrête, et qu’il soit obligé de montrer son passeport. À peine arrivé en Suisse, il rend visite à Mme de Staël ; il voit à Berne Mallet du Pan et Mounier ; de Bâle, il se rend à Hambourg avec des chevaux qu’il a achetés. Il y arrive au commencement de décembre et écrit tout de suite à Washington : « Il n’avait pas supposé que quelqu’un pût rendre aucun service à Paris, jusqu’au jour où il y aurait quelque gouvernement permanent. Je voyais la misère et l’affliction chaque jour autour de moi, sans aucun moyen de mitiger ces maux, et je me sentais dégradé par les communications que j’étais forcé d’avoir avec ce qu’il y a de pire dans l’humanité, pour obtenir une réparation pour les injustices subies par mes concitoyens. » Il est heureux d’avoir été rappelé à la demande des gouvernans français. « Je crois vraiment que c’était nécessaire à ma réputation. » Parlant de l’état du pays qu’il vient de quitter, il reste toujours convaincu qu’à travers les convulsions révolutionnaires, la France marche au despotisme.

Mme de Flahault, qui avait émigré, était logée à Altona, qui est comme un grand faubourg de Hambourg, et Morris l’y retrouva avec bonheur ; pendant tout l’hiver qu’il y passa, il fut occupé de soulager les émigrés, dont beaucoup étaient dans la plus grande des gênes : à une dame, qu’il avait beaucoup fréquentée à Paris, il écrit, par exemple : « La personne qui vous remettra celle-ci est chargée de vous payer en même temps 50 louis. Si la fortune vous devient propice, vous me les rembourserez. Sinon, laissez-moi la consolation de croire que j’ai pu adoucir un instant vos malheurs. » Au mois de juin 1795, Morris quitte Altona pour Londres : là aussi, il retrouve nombre d’émigrés de sa connaissance. Il sonde les dispositions des ministres anglais, de lord Granville, de Pitt, relativement à la France ; il les résume ainsi dans une lettre qu’il envoie à un émigré à Altona (avec 100 livres sterling) : « Les dispositions ici sont excellentes. Ils veulent franchement rétablir la France, mais ils ne veulent pas verser le sang et les trésors de l’Angleterre pour assouvir des vengeances particulières. Ils sont dans ce que j’appelle les bons principes et je me trompe fort ou le nouveau roi (Louis XVIII) se déclarera ouvertement pour la modération et la conciliation. »

Morris profita de ses nouveaux loisirs pour visiter l’Écosse et l’Angleterre ; il passa l’hiver de 1796 à Londres, mêlé à la meilleure compagnie, très occupé des affaires du continent et de leurs rapports avec les États-Unis, toujours serviable aux émigrés français, et très avant dans leurs secrets ; assistant parfois aux grands combats oratoires de Pitt, de Fox, de Sheridan, de Grey ; craignant à