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dit tout haut dans le sénat américain, en 1803, que la France deviendrait le pouvoir dominant en Europe ; mais il ne croyait pas cette domination permanente, il prévoyait une coalition générale et la chute du nouvel empereur.

Le général Moreau était en Amérique en 1807, et Morris le vit assez fréquemment. Il écrivit à Mme de Staël, exilée de Paris, de venir aux États-Unis. « Napoléon va toujours grand train, de sorte que, s’il ne bronche pas, toute l’Europe désormais sera France, à l’exception des îles britanniques. » Après Friedland, il écrit à son ami le comte Woronzow, à Londres : « Les raisonnemens politiques se réduisent maintenant à des calculs sur la vie de l’empereur corse. » Au marquis de Stafford, il rappelle lui avoir dit, dix-sept ans auparavant, que, si la révolution française n’était pas arrêtée dans ses progrès, elle deviendrait dangereuse, peut-être fatale aux libertés de l’Europe. Il lui montre les fautes commises par le gouvernement anglais, à qui il reproche surtout de disséminer ses efforts, et de ne s’être pas attaché les États-Unis par une conduite habile : « Quand, regardant de l’autre côté de l’Atlantique, je vois un pouvoir et des talens si prodigieux d’un côté, et de l’autre,


Cet esprit d’imprudence et d’erreur,
De la chute des rois funeste avant-coureur,


j’ai froid au cœur. »

Les affaires de son propre pays l’absorbent, quand les États-Unis se trouvent engagés dans une guerre maritime contre l’Angleterre : il déplore cette guerre et redoute, comme une de ses conséquences, une extension trop grande et trop subite des territoires de la république. Il ne reste pas indifférent toutefois aux grands événemens dont la Russie est devenue le théâtre. « Bonaparte est perdu. Longtemps avant la nouvelle des premiers succès russes, j’ai, dans mon petit cercle, dit qu’il quitterait Moscou le 20 octobre. Je crois qu’il est parti un peu plus tôt. » Les troupes françaises vont être forcées de repasser les Pyrénées, « les amis américains de Bonaparte regardent avec une anxieuse terreur. « Il rappelle qu’il a dit autrefois au sénat, en parlant de Napoléon, le premier des Césars gaulois : « S’il se trompe une fois, il tombe (the moment he fails, he falls). » Il rend justice à Napoléon comme général. « Il vit quelle conduite l’Autriche allait tenir, ce que mon pauvre ami Moreau ne voulait pas croire quand je le lui dis, dans une conversation que j’eus avec lui et Parish, peu de temps avant qu’il