Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produits se divise en deux groupes bien tranchés. Dans le premier, la loi que nous constations en étudiant l’histoire du travail s’est vérifiée : l’ornementation a disparu ou achève de disparaître. Ce groupe est le plus nombreux, car il comprend presque tous les objets d’usage commun et à bas prix, ceux-là mêmes que l’imagination populaire enjolivait jadis à plaisir ; il y faut rattacher, dans la fabrication de luxe, tout ce qui ne tolère plus l’ornement de fantaisie, les étoffes unies, certains types de meubles, la carrosserie, les harnais, les armes, les instrumens de toute nature et même les instrumens de musique. On n’admet plus la peinture et la sculpture sur les bois d’un piano ou d’un violon. Il est difficile de s’expliquer comment la loi s’est étendue à des objets d’agrément qui servent un art. — Le second groupe réunit les industries qui demandent encore leurs séductions au relief et à la couleur, à la reproduction de la figure humaine, des animaux et des fleurs ; tels les tissus destinés aux tentures et au vêtement féminin, les ameublemens de prix, la céramique, la cristallerie, la bijouterie, le bronze ornemental. Nous devrons circonscrire notre promenade sur ce terrain ; c’est le seul où la lutte industrielle pique notre curiosité.

On peut affirmer sans vaine complaisance que la France garde le premier rang dans cette lutte. A la vérité, le Champ de Mars ne nous offre pas les élémens d’une opinion définitive ; il serait peu équitable de juger par défaut ou sur des pièces incomplètes les peuples auxquels leurs pasteurs ont déconseillé l’épreuve. Parmi nos concurrens de première ligne, les Anglais nous serrent de près ; leur céramique, leur verrerie, gardent l’empreinte de ce génie tranquille et personnel qui fait de leurs salles de peinture, dans le grand capharnaüm des tableaux, un sanctuaire de noblesse et de poésie, une chambre des lords dans la république des arts. Peut-être l’emporteraient-ils sur nous, si le marché européen ne demandait à ses fournisseurs que la distinction souveraine, l’entente de la vie intérieure, le sentiment intime de la profondeur des choses. Tout ne plaît pas, dans les produits de leurs industries relevées ; mais tout a du style. J’imagine que s’ils avaient exposé le plus démodé de leurs articles d’exportation, à ce qu’on assure, le parlementarisme, nous le retrouverions beau chez eux. D’aucuns disaient le chêne britannique languissant et en mal de vieillesse ; il apparaît ici bien vivant, plongeant par ses racines sous-océanes dans une réserve illimitée de sève et de richesse. La section anglaise renferme une dépendance où une porte d’or ouvre sur l’Australie ; ce n’est qu’une province du monde tributaire, et le développement de cette province est fabuleux ; Melbourne, fondée en 1851, compte 450,000 habitans ; tout ce qu’on nous montre de cette ville nous rend l’image d’un organisme qui a déjà sa vie