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de l’espace, à un moment du temps. Par-delà les étroites limites de notre univers solaire, jusque dans Sirius et dans Aldébaran, plus loin, plus haut encore, il est probable que la somme des angles d’un triangle est constamment égale à deux angles droits. Il est également probable, il est même certain, nous le savons, que les corps, dans le soleil, se combinent selon les mêmes lois, dans les mêmes proportions qu’à la surface et jusque dans les entrailles de notre globe terraqué. Mais ce qui n’est plus du tout certain, et ce dont le contraire est même plus probable, c’est que, s’il y a de la vie dans Saturne ou dans Jupiter, elle obéisse aux mêmes lois qu’ici-bas, qu’elle s’y incarne dans les mêmes formes, qu’elle s’y transmette et s’y continue par les mêmes moyens. Il n’est pas certain non plus qu’il y ait toujours eu des hommes sur la terre ni qu’il y en doive toujours avoir. A mesure donc, on le voit, que nous passons d’un ordre de vérités à un autre, le caractère de la vérité même change avec les objets dont on l’affirme ou dont on l’entrevoit, je pourrais dire dont on la suppose. La nécessité en décroit ; la relativité ou la contingence en augmente ; et elles sont enfin : la première à son plus bas degré, mais la seconde au plus haut, ou, si l’on veut, à son maximum, quand des vérités de l’ordre physique ou naturel on passe aux vérités de l’ordre humain.

De ce qu’elles ne sont pas toutes du même ordre, ni capables du même genre de démonstration, d’évidence, et de certitude, il résulte que les vérités ne sont pas solidaires ; que d’un ordre de vérités à un autre il n’y a pas de passage ; et que même elles peuvent non-seulement s’opposer, mais encore se contredire. Elles s’accordent peut-être plus haut, mais elles peuvent se contredire dans l’esprit de l’homme. « De tous les corps ensemble, dit Pascal, on ne saurait en faire réussir une petite pensée ; cela est impossible, et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits, on n’en saurait tirer un mouvement de charité ; cela est impossible, et d’un autre ordre, surnaturel. » Ainsi, les lois du mouvement ne sont pas celles de la vie, quoiqu’elles soient réalisées dans les êtres vivans, et les lois de la morale ne sont pas celles de la physiologie. Des lois de la nature ou de la vie, on n’a donc pas le droit de conclure aux lois de la morale ou de la société : celles-ci sont autres, et il se peut bien qu’elles aient des liens entre elles, mais nous ne le savons pas. « Quand on lit la plupart des philosophes qui ont traité des passions et de la conduite de l’homme, on croirait, dit Spinosa, — et sachez qu’il songe à Pascal, — qu’il n’a pas été question pour eux de choses naturelles, réglées par les lois générales de l’univers, mais de choses placées hors du domaine de la nature. » Là, justement, dans cette boutade, bien plutôt que dans sa définition de la substance ou du mode, est la grande erreur de l’Éthique. Si l’homme n’est pas