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les princes, — même avec la complicité de M. Boulanger, — voter leurs lois scolaires ou couvrir de leurs votes les irrégularités du budget. Les conservateurs ne sont apparemment pour rien dans tout cela ! Que les conservateurs n’aient pas été toujours heureux dans leurs dernières campagnes, dans leurs essais d’alliance avec ce qu’on appelle le boulangisme, c’est une autre question. Il est certain qu’ils ne peuvent que gagner à rester eux-mêmes fidèles à leur cause, à leurs cliens, aux intérêts qu’ils représentent, toujours prêts aux transactions utiles. Ils sont, dans tous les cas, étrangers à ce qu’ont fait les républicains, à leurs concentrations ou à leurs divisions, à la politique qu’ils ont suivie et qu’ils proposent de continuer. Eh bien ! c’est là toute la question qui va se débattre aux élections prochaines fixées maintenant au 22 septembre. Il s’agit, pour le pays, de se prononcer pour la continuation d’un règne irritant et malfaisant qui ne lui a valu que des mécomptes ou de faire sentir par son vote qu’il tient à retrouver la vérité du régime parlementaire, un gouvernement qui soit le gouvernement de la France, non d’un parti, une politique de prévoyance, d’apaisement et de raison.

Étrange histoire que la nôtre ! À voir ce que devient la vie publique telle que la font les partis, comment on traite les institutions, les garanties, les droits dont on parle le plus, on serait tenté de se demander ce qui reste des idées, des illusions si l’on veut, des confiantes espérances de la jeunesse du siècle, de la France libérale d’autrefois. Il est certain que nous avons fait du chemin, que de singuliers progrès, si l’on appelle cela des progrès, se sont accomplis depuis le temps où une génération, à la fois éclairée et passionnée, se flattait de fonder enfin un régime de larges libertés constitutionnelles, de légalité et de grandeur nationale. Les républicains du temps avaient eux-mêmes du désintéressement dans leurs fanatismes, des mobiles généreux dans leurs violences, une sorte de naïveté dans leurs folies ou dans leurs inepties. On n’en est plus là. On se moque volontiers des rêves, des illusions des anciens, et on traite au besoin de « guitares » les scrupules de légalité et de libéralisme. On se croit plus habile parce qu’on se croit tout permis pour régner. Nous sommes loin de l’époque presque fabuleuse où un de ces ministres qu’on appellerait aujourd’hui réactionnaires, un Casimir Perier, dans ses luttes héroïques contre tous les désordres, prétendait gouverner sans recourir à des mesures exceptionnelles ou à de puériles expédiens, par l’unique ascendant d’une volonté intrépide et de la légalité. On peut dire ce qu’on voudra de cette époque déjà si lointaine, qui eut sans doute ses faiblesses ; elle avait certainement aussi la sève généreuse, le feu libéral, et c’est précisément ce feu qui fait le charme et l’intérêt de ces Lettres du duc d’Orléans, que les fils du prince à la destinée tranchée dans sa fleur publient aujourd’hui. Ces Lettres, qui au début sont d’un adolescent et